© Christophe Raynaud de Lage
Rien de flamboyant dans ce Dom Juan mis en scène par Jean-Pierre Vincent où les contresens succèdent aux académismes convenus. Pire, la pièce baroque est ici bien neutre, comme est transparent ce Sganarelle qu’incarne Serge Bagdassarian. Ce dernier ne force pas son comique, loin de là : la diction est parfaite, naturelle, mais la personnalité du valet n’est pas marquée ; dès son entrée en scène, il ne semble déjà pas avoir les épaules pour soutenir la pièce. On attend donc plus que jamais Dom Juan et sans doute plus que Molière ne l’espérait lui-même en retardant sa venue à la scène 2. Loïc Corbery, qui l’incarne, intrigue dans un premier temps avec un jeu tout droit inspiré du Mozart d’Amadeus de Miloš Forman. On est soulagé, on se dit que Dom Juan va prendre toute la lumière comme son statut de personnage éponyme le justifie, que ce parti pris de le rendre comique aux dépens de Sganarelle est sinon pertinent ou probant, du moins original et puis… non. Dans les emportements, il crie trop et faux. Son jeu, au fil des répliques et des scènes, s’affadit dans le surjeu et c’est finalement la banalité de Sganarelle qui va paraître juste car seule compréhensible.
Hors de ce couple, point de salut non plus ! Le personnage d’Elvire est un ratage complet qui sert là aussi étrangement le comique et le contresens avec cette posture virile qu’on lui fait prendre dans l’acte I. Habillée à la garçonne, frappant, vitupérant sans pourtant être dans la colère qui émeut ni dans une émotion vraie, Suliane Brahim, qui l’interprète, ne convainc pas. On aurait pu faire d’elle, au moins, une Jeanne d’Arc, on en fait une sotte. Ses interventions ultérieures, plus sages, seront par ailleurs sans intérêt, ni relief. Les autres personnages (Charlotte, Mathurine, Pierrot, M. Dimanche) se glissent quant à eux dans la fadeur, la convention, l’absence d’énergie et de charisme ambiantes et dont on a trop souvent soupé à la Comédie-Française.
Sitôt vue – du moins pour ceux qui, à l’orchestre, n’ont personne devant eux et ne sont dès lors pas contraints à des contorsions de cou et d’yeux – , cette « comédie » que fait jouer Jean-Pierre Vincent est oubliée. Las, elle est à tous points de vue dispensable. Pas même les décors, pseudo conceptuels, ne marquent favorablement la rétine tant ils sont laids et n’apportent aucun éclairage à la pièce. La première apparition du Commandeur fait impression en raison des effets spéciaux employés mais la seconde, sous la forme d’une fausse statue, l’occulte vite. Pas même la fin de Dom Juan n’est propre à nous saisir. Le volte-face final va jusqu’à commettre un grave contresens. Certes, Molière s’évitait les foudres de la censure en tuant son personnage mais le metteur en scène, en choisissant une « fin » autre, ne semble pas comprendre que la mort du personnage est nécessaire à sa grandeur, le sauvant, sans doute, d’une vieillesse telle que la représentent un Dom Louis ou une Mme Pernelle ; si le corps se consume chez Molière, les idées restent. Jean-Pierre Vincent nous laisse ainsi catastrophés à l’issue de cette pièce qui, loin de l’apothéose attendue, s’achève en eau de boudin…