Archives mensuelles : mai 2015

Les Fausses Confidences

LES FAUSSES CONFIDENCES (Luc BONDY) 2014

Photo : Pascal Victor/ArtComArt

Las, pas d’amélioration d’une saison à l’autre dans ce retour, sur la scène de l’Odéon, des Fausses confidences si l’on excepte, peut-être, les voix rendues plus audibles par la « grâce » de leur discrète sonorisation. Bien au contraire même, la seule vraie lumière comique lors de la création de la pièce, Jean-Damien Barbin, s’étant éteinte, le comédien n’ayant pas repris le rôle d’Arlequin.

La mise en scène de Luc Bondy pêche en effet à tous les étages. La scénographie est absconse, artificielle et sans réelle novation ; le jeu des comédiens têtes d’affiche, loin des subtilités inhérentes au marivaudage, est quant à lui épouvantablement boulevardier.

Un cours de Tai-Chi en prologue, une mer d’escarpins en fond de scène, des murs coulissant subrepticement en tous sens, un final hollywoodien… tout cela pose question et pour cause : il n’y a pas de sens à chercher et, surtout, pas de cohérence à trouver par rapport à l’esprit et la lettre des Fausses Confidences. À bien y réfléchir, il semble que le metteur en scène ait voulu, comme à son habitude, nous impressionner pour nous éviter de penser à la vacuité de sa lecture de Marivaux qui paraît s’être arrêtée à la visée comique de la pièce en en occultant toute la portée critique et réflexive sur la société et la place qu’y occupent l’amour, l’individu, le libre arbitre. La notoriété des acteurs principaux (Isabelle Huppert, Louis Garrel, Bulle Ogier), les décors en mouvement, la scène qui avance sur les spectateurs – cela aussi devient un classique chez Bondy – ne servent finalement que de poudre aux yeux pour masquer l’absence d’une vraie direction et d’un parti pris fort… et pertinent.

Dès le début, rien de bien lisible dans cette superposition de données contradictoires. Si l’on peut voir dans le prologue méditatif que constitue le cours de Tai-Chi la volonté d’Araminte (Isabelle Huppert) d’apprendre à dominer les passions qui l’étreignent, comment comprendre que le personnage se laisse, sans hésitation apparente, submerger par l’amour qui frappe à sa porte ? Comment comprendre qu’Araminte paie avec parcimonie ses gens (Bondy lui fait compter et recompter l’argent qu’elle leur donne, n’oubliant jamais au dernier moment de lui faire enlever un billet) quand elle ne regarde manifestement pas à la dépense pour ses chaussures ou ses habits Dior qu’elle change à chaque réapparition sur scène ? Avare ou dépensière, on s’étonne pareillement de ses réticences à épouser l’homme riche qu’est le comte Dorimont (Jean-Pierre Malo), réticences antérieures à la venue de Dorante, son soupirant (Louis Garrel). La seule logique dans tout ceci se trouve, selon toute vraisemblance, hors du texte ; c’est celle d’étoffer – aux sens propre et figuré – un personnage, celui d’Araminte, pour mettre sur un piédestal celle que le public est venu voir et, pour Bondy, ce n’est pas Araminte mais Isabelle Huppert…

L’actrice occupe en effet toute la scène ou du moins l’avant-scène, reléguant les autres à l’arrière-plan quand ils ne sont pas tenus, plus près d’elle et des spectateurs, de « s’humilier », se courbant, posant genou à terre ou y gisant tout bonnement, pour lui servir de faire-valoir. Bondy va jusqu’à ôter le dernier mot de la pièce à Arlequin. Faussant la mécanique et la dynamique de la pièce autour de l’ambiguïté sur le pouvoir décisionnaire des uns et des autres sur les sentiments des uns et des autres, ce parti pris du metteur en scène dessert d’autant plus l’œuvre de Marivaux qu’Isabelle Huppert n’est pas à la hauteur où il voudrait la placer. Elle bafouille son texte et ne l’élève nulle part, n’en faisant ressortir que le comique et par endroits seulement. Quant aux autres acteurs têtes d’affiche, elles ne brillent pas davantage pour le faire entendre.

Bulle Ogier n’a effectivement plus l’énergie qu’elle avait à la création de cette mise en scène et perd aussi le texte de vue et de mémoire quand elle ne le bredouille pas. Le comique de son rôle n’est presque plus porté que par ses accessoires (la canne et les lunettes noires), son laquais et ses petits pas.

Louis Garrel est… Louis Garrel. D’une mollassonnerie sans pareille dans le geste comme dans le verbe – l’articulation est un exercice périlleux pour lui –, le suivre, le regarder, c’est prendre le risque de s’endormir tout net et l’action avec lui semble toujours stagner. Son jeu, théâtral et sans finesse, et son air constamment accablé, abattu et désœuvré, nous laisse froid quand on devrait pourtant s’intéresser à son sort.

Jean-Pierre Malo est un comte Dorimont parfaitement voire intolérablement insipide quand il n’est pas horriblement sirupeux et l’on en vient même à se demander quelle fonction dramaturgique a la présence physique de son personnage sur scène.

Il n’y a guère que ceux qui interprètent les domestiques qui tirent leur épingle du jeu et cela est d’autant plus méritant qu’ils ne sont pas aidés par la mise en scène. On apprécie ainsi les belles et touchantes nuances dans le jeu de Manon Combes (Marton) ; son énergie et sa malice pleine de candeur font souvent merveille dans la grisaille ambiante. Yves Jacques (Dubois) n’est pas en reste non plus qui est l’un des rares dont le jeu soit éminemment assuré mais dont on regrettera cependant la trop grande linéarité. Loin de faire oublier la prestation du charismatique Barbin, Fred Ulysse compose malgré tout un Arlequin intéressant avec cet air triste et désabusé qui tranche avec celui plus enjoué que l’on prête traditionnellement à ce personnage hérité de la Commedia dell’Arte.

En somme, passé l’intérêt que l’on peut trouver, les dix premières minutes, à voir évoluer des acteurs notoirement connus dans un art, le cinéma, qui nous les rendait peu accessibles, que reste-t-il ? Un divertissement fait d’esbroufe et, partant, regardable mais qui, sans grand intérêt ni saisissement, sonne creux et déçoit terriblement.

Le spectacle se joue à l’Odéon-Théâtre de l’Europe du 15 mai au 27 juin 2015.