Archives mensuelles : novembre 2014

Les Fourberies de Scapin

Fourberies-Scapin-2014@Philippe-Bertheau-6712-1Photo de répétitions / Philippe Bertheau

La mise en scène est profondément moderne et pas seulement par le choix des décors et costumes ! Laurent Brethome nous livre en effet une interprétation audacieuse et inédite des Fourberies. Ce parti pris d’un Scapin plus sombre et politique que facétieux et joyeux est assumé et tenu de bout en bout, jusqu’au dénouement de la pièce, très surprenant mais non moins pertinent.

Le décor, qui transpose la pièce « napolitaine » du 17e s. dans les docks contemporains du nord de la France, est bien pensé : il rend compte des dimensions politique et sociale que le metteur en scène a voulu mettre en lumière dans ses Fourberies – les personnages, selon lui, doivent évoluer dans un milieu « interlope » où « l’on ne peut s’empêcher de penser qu’une économie parallèle se déploie » – ; ce décor favorise, dans le même temps, une scénographie intelligente par la dynamique des regards et des déplacements qu’elle propose. Plusieurs espaces de jeu sont rendus possibles par la seule présence de containers ; les acteurs peuvent ainsi se retrouver à des hauteurs différentes, se rejoindre, s’éloigner, jouer à cache-cache ; il y a aussi des effets de profondeur avec une cabine à l’arrière-scène… autant d’espaces reliés et gagnés facilement grâce à la rapidité et l’agilité des comédiens et qui deviennent proprement des lieux de jeu théâtral.

Si l’on ajoute que les comédiens sont très bons, tout eût été donc bien dans le meilleur des mondes sans ce regret, celui que le grotesque de la pièce moliéresque soit à ce point atténué, ne se rencontrant que sous forme d’éclats (les balbutiements de Léandre face à son père, la leçon de sifflotement qu’il reçoit de Scapin, les répliques répétées à l’envi entre ce dernier et Argante puis par le seul Argante), des éclats qui jurent bien qu’ils durent – l’effet comique qui en résulte étant usé jusqu’à la corde ficelle –.

Scapin est un sage, solitaire et sobre, racaille anarchiste au grand cœur… redresseur de torts et « machineur » de fourberies… (Laurent Brethome)

Scapin n’est pas simplement sobre, il est ici trop sérieux pour être l’artisan de fourberies et s’il ne manque pas d’énergie, ni de physique, il manque de panache si bien que la mise en scène échoppe à nous éclairer sur ses réelles motivations ; on ne le cerne pas assez pour bien comprendre la fonction que lui assigne le metteur en scène : « rosser les méchants pour leur faire entendre raison ». Dans la pièce de Molière, la générosité du valet n’est pas seulement celle de son envie d’aider ou de rendre justice, c’est également celle du jeu, du jeu verbal, de la malice, de la rouerie qui témoigne de son ingéniosité, en bref, celle du théâtre. Le plaisir de l’invention est ici gommé pour la satisfaction de l’intervention, celle qui rétablit la justice. Quand Scapin rencontre l’inspecteur Harry…

Cette comparaison n’est pas anodine. S’il y a de la facétie dans les changements et variations de ces armes utilisées pour se fâcher, tempêter, corriger, voire se corriger, à l’instar de ce sac – le fameux où se trouve enfermé Géronte – qui, ici, se renouvelle et grossit au fil des bastonnades, la violence omniprésente et extrême, qui fait souvent irruption de façon inattendue et fantasque, finit par lasser. Le sang coule à flot et, sans reprendre ni atteindre les sommets tomatés de certains films de Tarantino – c’est peut-être d’ailleurs là que le bât blesse ; une nouvelle fois, l’on se prend trop au sérieux sur scène –, il semble en effet que tout se règle dans cette volonté d’en finir avec l’autre, avec soi. C’est au point que le spectateur s’inquiète davantage de la santé de Géronte battu qu’il ne rit du mauvais tour que Scapin lui joue.

Laurent Brethome offre ainsi des Fourberies de très bonne sinon excellente facture avec cette liberté qui nous invite à une réflexion intéressante sur la pièce et sur le monde, mais revenons-y une dernière fois, il manque le plaisir et le plaisant de la fourberie.

Spectacle joué du 6 au 15 novembre 2014 au Théâtre Jean Arp de Clamart. Pour les autres dates de la tournée, c’est ici.