Archives mensuelles : décembre 2014

La Réunification des deux Corées

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© Elisabeth Carecchio

« J’ai l’impression d’être dans un téléfilm », c’est ce que dit un personnage, Christelle, en rupture de ban, et c’est ce que l’on peut penser effectivement… Avec La Réunification des deux Corées, on tombe dans un comique à peine subtil où les « putain » scandent à intervalle régulier les répliques comme autant d’aveux d’échec à proposer quelque chose de drôle et de profond à la fois : on jette une grossièreté pour rompre avec un discours et une allure plus raffinés des personnages et l’effet, croit-on, est garanti… Le problème est que ces grands emportements et autres scènes de reconnaissance  ou de désespoir sont bien jouées mais sonnent faux parce que la ficelle, toujours elle, est bien trop grosse et qu’il semble que le but – faire rire plus que faire réfléchir- dépasse à chaque mot prononcé le fond aussi bien que la forme.

Cette forme, si léchée, si travaillée d’habitude chez Joël Pommerat, se trouve comme désolée, vaine et sans but ici. L’on ne comprend pas bien, par exemple, le dispositif bi-frontal adopté. Il ne présente guère d’intérêt autre que d’en mettre plein la vue dès l’entrée dans la salle si tant est qu’on y voie quelque chose. Il y a certes une plus grande proximité avec le public et toujours ce souci d’une visibilité pour tous plus importante, comme c’était le cas avec l’arène réservée aux spectateurs de Ma chambre froide, mais il n’y a pas de jeu entre les rives gauche et droite, pas de jeu non plus entre les comédiens et ces fenêtres que les spectateurs sont, pas même cette impression que, d’une lisière à l’autre, on assiste à un autre spectacle et donc à un spectacle unique.

L’on ne comprend pas bien non plus ce choix d’écrire en saynètes, comme si le monde ne pouvait être dit dans l’unité d’action si chère à Victor Hugo. Certes, cet éclatement était déjà fondamental dans le théâtre-diapositives de Pommerat mais cette rupture des noirs dans l’unité d’une histoire unique avait de la force et du sens, témoignant d’une vie qu’on ne peut contrôler dans ses moindres détails, d’une part de cette vie qui nous échappe ; elle laissait en outre au spectateur la possibilité de développer un imaginaire, de reconstituer à sa guise les jointures manquantes ou d’y laisser des points de suspension. Ici, la discontinuité est celle d’un vulgaire spectacle comique : il y a un fil conducteur plus thématique que fort et on ne fait qu’attendre le sketch suivant.

Décidément, les pièces-saynètes ne réussissent pas à Joël Pommerat – on pense à Cet enfant, même si le propos de La Réunification des deux Corées est bien moins clichéique et artificiel -. Elles marquent indéniablement un épuisement chez l’auteur, le tarissement de son inspiration, un souffle trop court. On ne s’ennuie pourtant pas, les spectateurs rient, et pour beaucoup, de bon cœur, mais on attend autre chose qu’une somme de vaudevilles un peu faciles quand on connaît la capacité d’invention, de réécriture et de poésie de l’auteur, une capacité que l’on trouvait par exemple dans sa version de Cendrillon et qu’on ne trouve, ici, que dans le titre de la pièce, titre qui, au passage, n’avait pas besoin d’être repris par un des personnages. « Que dans le titre » ? Pas tout à fait, n’allons pas si loin. Des scènes nous intéressent, vraiment, celles où le flou est entretenu quant à la folie ou raison des personnages, où la réalité et le fantasme rivalisent, où la perte de repères trouble ; elles sont cependant le plus souvent gâchées par ces artifices de langage et de posture qui laissent une impression de déjà-vu qui rend trop éphémère le surgissement de l’inattendu et du saugrenu.

Spectacle qui se joue aux Ateliers Berthier du 10 décembre 2014 au 31 janvier 2015.