© Ronan Thenaday
Jean-Michel Rabeux revisite de façon très intelligente Peau d’âne, rappelant du récit de Perrault et du théâtre à la fois, les aspects intemporels et ne se détournant pas, pour ce faire, du présent et de la plus vive actualité.
Peau d’âne (Aurélia Arto) n’est ainsi plus la jeune fille timorée du conte qui n’ose s’opposer frontalement à son père ; elle sait qu’il est une autorité que l’on ne saurait remettre en cause mais elle ne craint pas pour autant de lui dire ce qu’elle pense. Elle est ici ce qu’on s’imagine de nos ados d’aujourd’hui : un brin superficielle – la morale de Perrault l’affirmait déjà –, elle s’émerveille devant les robes aux si belles couleurs qu’on lui offre – au point de se laisser tenter par le mariage pour le seul plaisir procuré ; seule dans sa chambre, elle chante, danse, se déchaîne en mode karaoké ; après avoir changé de corps, ayant opéré une effroyable mue de princesse en ânesse, elle s’interroge devant son miroir sur son pouvoir de séduction (nue, plairait-elle davantage au prince qu’elle vient de rencontrer ?) – bel écho à ces jeunes filles qui se dévoilent sur la toile sans savoir qu’elles le font à leurs seuls dépens. Bref, elle pique des crises et connaît des émois et furieux et fragiles que sait nous faire partager Aurélia Arto, d’une grande justesse et d’une belle énergie.
Les autres personnages sont de la même veine. La marraine, jouée par un homme (Christophe Sauger) – nouveau clin d’œil et beau pied-de-nez, au passage, à notre actualité « genrée » –, est plus femme que fée dans cette adaptation. Loin d’avoir la science et la magie infuses, elle se montre souvent aussi démunie que sa pupille. Ses impuissances et ses hauts talons dédramatisent et provoquent un comique salutaire dans ce qui reste une histoire sordide. Le prince (Dianko Diaouné) est, lui, un de ces « beaux gosses tombeurs qui se la jouent au pied des tours » mais qui sont plus romantiques et attachants qu’il n’y paraît, surtout quand ils sont amoureux. Son entrée est un show qui, avec ses autres interventions, contribue à dynamiser la pièce. Il n’y a guère que le personnage du père (Hugo Dillon) d’incolore mais cela semble être là aussi un fait pertinent : le roi tombe amoureux de sa fille avant de la reconnaître ou plutôt de la connaître ; absent de son éducation, les liens du sang ne lui sont pas sensibles et c’est ce qui est bien souvent reproché aux pères aujourd’hui.
La pertinence de cette adaptation ne tient toutefois pas seulement à la réécriture des rôles et caractères du conte de Perrault et à la générosité des comédiens qui les incarnent, elle tient aussi à la scénographie. Ici, la scène reprend les éléments du théâtre de tréteaux avec ses voiles et rideaux en guise de coulisses et ses accessoires de bric et de broc qui sont parfois bien contemporains à l’instar des caddies ou du vidéo-projecteur utilisés. On n’est pas dans le réalisme et, partant, on laisse l’imagination s’épanouir à souhait quand on ne revient pas à une simplicité et un pragmatisme de bon aloi : « décrocher la lune », c’est aussi très beau quand le geste est joint à la parole et ce, même si la lune n’est qu’un croissant de carton pâte, doré et diamanté. Du Kitsch, on en aura aussi à travers le choix des chansons, des musiques et des costumes disco pailletés mais on s’en amuse assez légèrement pour que cela ne paraisse ni lourd, ni ringard ; cela offre aussi une belle madeleine de Proust aux plus grands. C’est bien un « spectacle pour adultes à partir de six ans. »
Quelques regrets tout de même : plus de poésie n’aurait pas été mal à l’instar des beaux tableaux offerts quand tout se fige (la mort de la reine, le coup de foudre de Peau d’âne…) et il est dommage que les voix amplifiées et modifiées ne soient pas toujours bien audibles mais le tout est plutôt réussi avec ce choix de privilégier l’humour pour adapter une fable bien noire et l’on passe, pour tout dire, un moment bien agréable en « La Compagnie » de Jean-Michel Rabeux.