Archives mensuelles : avril 2015

Orlando ou l’Impatience

orlando-ou-limpatience-christophe-raynaud-de-lage © Christophe Raynaud de Lage

Cette création d’Olivier Py est signée : les néons, les nus, la musique jouée en direct, l’éloquence sublime qui côtoie le bas et le vulgaire, l’épique, le mystique… tout y est mais pour quel résultat ? Sans adorer ni détester, on aime, malgré ses longueurs, cette pièce enlevée et nourrie aux « drames » travaillés par la joie.

On aime effectivement l’enthousiasme qui traverse la pièce, un enthousiasme inhérent à cette quête incroyable et pourtant essentielle que mènent tous les personnages, une quête d’identité via le théâtre – le grand sujet de la pièce –, une quête qui met à rude épreuve leur « impatience ». Pendant plus de trois heures les comédiens incarnent donc ces personnages avec beaucoup d’entrain et d’énergie et font le spectacle. Ils sont tous excellents si l’on excepte les prestations plus moyennes de François Michonneau (Gaspard) et de Laure Calamy (Ambre). Matthieu Dessertine (Orlando) maîtrise de bout en bout son personnage ; jouant de son ingénuité et de sa fraîcheur de façon magnifiquement superbe, il va jusqu’à glisser parfois quelques regards, sourires et mots manifestement improvisés au public. Mireille Herbstmeyer, en grande diva, donne tout de suite le ton à la pièce : on n’en doute pas, on est au théâtre et on en joue aussi follement que lucidement avec elle. Philippe Girard est toujours ce gourou qui, la voix pleine d’une rage indicible et le regard bleu acier pénétrant, fait sensation quand il ne saisit pas d’effroi par l’intensité qu’il donne à ce qu’il dit et fait, même en négligé de soie rose. Quant à Eddie Chignara, il joue à la perfection l’efféminement d’un ministre plus maso que sadique, un personnage farcesque mais interprété avec un sérieux et une constance tels qu’il ne semble pas sur scène le plus insensé des personnages, un titre auquel peuvent prétendre tous ceux qu’incarne le très charismatique Jean-Damien Barbin (quelle faconde !). C’est d’ailleurs ce vent de folie que les personnages font souffler sur scène ainsi que le plaisir du jeu si évident chez les comédiens qui vont permettre de dépasser les quelques impasses du texte.

À l’image des personnages, le plateau lui-même est virevoltant avec cette scène dans la scène qui tournoie, faisant passer le temps dans une joyeuse « ronde du carré » mais qui n’est pas celle pour autant de Dimítris Dimitriádis. Dans la pièce du dramaturge grec, des saynètes se reproduisent inlassablement ménageant dans le même temps des variations toujours plus grandes et furieuses [cf. la mise en scène de Giorgio Barberio Corsetti de La Ronde du Carré aux Ateliers Berthier en 2010]. Ici, Py fait répéter à ses personnages une même scène dans un contexte différent mais sans imprimer à ce palimpseste les changements et l’emballement nécessaires. À cet égard, c’est la deuxième partie, qui constitue l’ultime réécriture et l’ouvre sur quelque chose de nouveau, qui est la plus réussie ; libérée des longueurs que la répétition a balayée comme inutiles – comme ce qui se fait à l’issue d’un exercice d’improvisation où il s’est agi de rejouer la même scène dans un temps toujours plus court pour n’en garder que l’ossature et le rythme essentiels -, on revient ici aux origines du théâtre, le théâtre de rue, pas nécessairement institutionnalisé, celui qui tire sa force et sa vitalité de n’avoir rien. Tout cela était dit ou plutôt déclamé dans la première partie mais s’accomplit dans la seconde avec beaucoup d’intensité, l’action étant plus rapide et le discours plus amer mais moins naïf.

On aime enfin cette absence présence, aussi impressionnante qu’éclairante, de la scénographie. Quand le spectateur entre dans la salle, il fait face à une scène ouverte aux décors massifs. Or, ce qui s’impose à nous à travers eux, c’est une clé de lecture de la pièce ; avec cet emplacement inversé des côtés cour et jardin et ce miroir caractéristique des loges où se préparent les acteurs, on indique d’emblée au spectateur qu’il sera question de théâtre et d’envers du décor surtout, celui de la préparation du spectacle, de l’exhibition des artifices, celui aussi de la survie aussi bien financière que morale, et l’on voit ici, à l’issue de la pièce, que pour Py, c’est cette survie morale qui est la plus nécessaire et vitale. Ainsi, l’important pour une femme ou un homme de théâtre, ce n’est pas avoir un père, un mari, un enfant mais avoir une robe, un accessoire, un spectacle à monter ou à jouer ; l’essentiel serait donc le théâtre, coûte que coûte, quitte à en payer, et volontiers encore, le prix fort. Orlando, lui, joue n’importe quel rôle pour se connaître et c’est paradoxalement celui du clown mi-Pierrot, mi-Arlequin et celui du mendiant qui lui permettront de s’accomplir. Alors la scène n’a plus besoin de virevolter et d’impressionner. C’est la rue et une simple chaise en guise d’estrade qui la figurera pour laisser toute la place au texte et à celui ou celle qui le porte. Un beau programme que celui de vivre de théâtre et d’eau fraîche… et cela vaut pour le spectateur !

Orlando ou l’Impatience n’est pas sans défaut mais parlant, avec beaucoup de cœur, d’exaltation, d’humour et de fièvre même, de la « raison » d’être du théâtre et, partant, de celle du spectateur au théâtre, on ne peut rester insensible devant ce qu’on touche du doigt avec émotion mais qui semble malgré tout, surtout dans ce lieu du Théâtre de la Ville, surtout avec cet auteur et metteur en scène, Olivier Py, une utopie.

Le spectacle se joue du 8 au 18 avril 2015 au Théâtre de la Ville. Pour les dernières dates de la tournée, c’est ici !