Archives mensuelles : avril 2015

Vanishing Point

Vanishing Point© Patrick Berger

Les comédiens sont touchants mais cela ne suffit pas à faire de cette création de Marc Lainé la pièce bouleversante qu’elle devrait être.

Tout commence pourtant sur les chapeaux de roues – si l’on peut dire – avec un dispositif surprenant : sous nos yeux se tourne en effet un road trip en Amérique du Nord et l’on voit à la fois les prises sur le plateau et leur résultat sur grand écran. Ce n’est pas la première fois que ce dispositif est utilisé : en 2012, il avait été mis à l’honneur dans La Dame aux camélias, plus revue que corrigée par Frank Castorf à l’Odéon ou, avec plus de parcimonie, dans Salle d’attente monté par Krystian Lupa à la Colline ; en 2013, il était tout à fait central et essentiel dans la mise en scène de Charlotte Perkins Gilman de Die gelbe Tapete [Le papier peint jaune] aux ateliers Berthier ; plus récemment Stéphane Braunschweig joue de son aspect saisissant dans son Glückliche Tage [Oh ! les beaux jours] présenté à la Colline en 2014, comme l’a fait cette saison Yann-Joël Collin dans La Mouette au Théâtre des Quartiers d’Ivry. Cette projection d’une captation directe dans Vanishing Point n’est donc pas nouvelle mais pas moins novatrice : d’une part, le spectateur voit les comédiens jouer – ce n’était pas vraiment le cas chez Castorf ou Charlotte Perkins Gilman où le film occultait le théâtre, le spectateur ne pouvant apprécier le jeu des acteurs que par écran interposé ; d’autre part, la réalité de la scène n’est pas seulement, dans le film projeté, une réalité « augmentée » par un cadre – on pensera ici aux magnifiques gros plan des mises en scène de Braunschweig et Collin pré-citées – mais par un jeu d’optique qui s’appuie sur l’opposition entre le mouvement de la voiture sur le film avec le défilement des paysages et et sa criante immobilité sur le plateau. Il y a pourtant un revers de la médaille.

Si cette opposition amuse, elle nous distrait – justement – du drame terrible qui a précédé, sur la scène, le début de ce voyage de la protagoniste Suzanne (Sylvie Léonard) sur la route longue de six cents kilomètres de la Baie-James. Ce drame survient de façon brutale mais le choc produit est bien trop vite atténué et relativisé par l’aspect insolite de ce tournage en direct. On touche ici à deux défauts importants de Vanishing Point : la pièce souffre d’un mauvais rythme mais aussi de son absence d’aspérités propres à rendre sensibles et fortes les crises qui, latentes ou explosives, construisent et détruisent les personnages et leurs liens.

Dans cette pièce, tout s’estompe en effet dans une forme de douceur ouatée, que celle-ci provienne d’un brouillard artificiel qui permettra de façon ingénieuse un fondu enchaîné entre le drame initial et les événements qui l’ont précipité ou bien encore de ces intermèdes musicaux d’un rock entraînant mais relativement sage, qui nous éloigne de la scène de théâtre pour nous conduire dans celle d’un concert divertissant. On n’a ainsi guère le temps de s’appesantir sur les drames que vit Suzanne entre cette brume qui efface toute trace de sang ou les airs bien sympathiques chantés par Marie-Sophie Ferdane accompagnée des musiciens de Moriarty (Charles Carmignac, Thomas Puéchavy, Vincent Talpaert et Stephan Zimmerli). Tout finit même par ronronner dans cette alternance, mécanique et quasi sans surprise, des tournages de cette virée motorisée et des chansons.

Enfin, le texte pose problème. Il est, pour ce qui est de la vie de Suzanne, quelque peu cousu de fil blanc – et les retours en arrière ou au présent ne brouillent guère les pistes. Seuls la place des intermèdes musicaux et le lien de la chanteuse (Marie-Sophie Ferdane) avec l’histoire et la culture amérindiennes peuvent interroger et intriguer mais la compréhension de leur enjeu véritable (une histoire parallèle à celle de Suzanne qui finira par la croiser) est rendue tardive, ce qui dessert la profondeur et la force du contraste qu’ils auraient pu manifester entre deux lignes de vie. Par ailleurs, la fin de la représentation, qui réunit ces fils « conducteurs », n’étonne pas pour autant.

Restent la naïveté et la fragilité des personnages, généreusement incarnés par les comédiens, qui nous font tout de même passer, malgré les imperfections relevées, un joli moment.

La pièce se joue au Théâtre national de Chaillot du 28 mars au 17 avril 2015.