Archives mensuelles : septembre 2015

Les Géants de la montagne

géants

© Élisabeth Carecchio

Stéphane Braunschweig est manifestement en panne d’inspiration, de poésie et de magie, tous ces éléments qui habitent la pièce de Pirandello et à côté desquels passe allégrement le metteur en scène, jusque dans ce choix d’achever l’inachevé et, disons-le tout net, de l’achever dans l’acception la plus terrible du terme. Il fallait sans doute laisser là suspendue l’histoire et donner ainsi un libre cours à l’imagination plutôt que de clore la pièce en lui en substituant – c’est le bon mot – une autre [ndlr La Fable de l’enfant échangé – traduction de S. Braunschweig].

On comprend bien l’idée de cette scène quasi nue au centre de laquelle trône une villa que l’on devine moderne malgré la tenture grossière qui lui sert d’entrée et lui confère une stature de grotte. Elle dit à la fois le « tout » et le « rien » que rend égaux l’un des protagonistes, Cotrone, joué par Claude Duparfait. Las, ce dispositif déçoit. La villa, si prometteuse, sert finalement peu le propos… Ses parois en verre restent en effet sans éclat et la technologie qui l’anime, bien fade, ne fait rien transparaître de la porosité entre le réel, le jeu et la fiction dont Pirandello s’amuse dans ses pièces et celle-ci en particulier. Le charme du texte est très vite rompu par la brutalité des transitions entre le dénuement du plateau, des acteurs et le surgissement d’un numérique facile et sans beauté, pas même flamboyant comme il aspire à l’être par endroits. L’éclairage lui-même participe de cette brusquerie avec ces lumières que l’on tamise ou que l’on augmente sans douceur. Les plongées dans le noir, trop vives, trop longues, loin de créer de l’intensité, la font baisser. On renoue avec elle dans les scènes finales qui, plus intimistes, plus naïves aussi, captent notre attention mais on est dans une autre pièce alors, cette fameuse fable qui gagnait à rester en filigrane pour plus de légèreté.

On ne reconnaît pas là le travail de Stéphane Braunschweig, lui qui porte souvent, dans une scénographie léchée et raffinée, une lecture personnelle et pertinente des textes qu’il monte. Ici, on trouve plutôt abâtardies les marottes d’autres metteurs en scène. Face à cette semi-revue des personnages en guise de prélude, on pense à Robert Wilson mais ce prologue n’est pas véritablement assumé qui se joue lors de l’installation du public et ne semble d’ailleurs là que pour faire patienter (ou taire !) les spectateurs. On pense également à la machine tournante du Orlando d’Olivier Py, le dynamisme en moins avec cette cage de verre trop polie. On pense surtout à Emmanuel Demarcy-Mota et son travail sur le clair obscur… travail loin d’être égalé ici.

La déception est d’autant plus forte que la distribution est superbe… sur le papier. Sur scène, le talent des comédiens ne suffit pas à nous enthousiasmer et à donner de la hauteur à ces Géants de la montagne. On accusera la mise en scène sans élan, sans vision, sans grande cohérence mais on pourra faire de même de la direction des acteurs. À n’en pas douter, ils ne sont pas suffisamment mis en danger. L’allure et le phrasé si particuliers de Claude Duparfait, la voix et la profondeur graves de Dominique Reymond, l’énergie et la générosité de John Arnold collent parfaitement aux personnages que ces trois comédiens incarnent et peut-être trop tant ceux-ci semblent « dérouler ». Leur musique finit par ronronner, à en devenir, telle une simple musique d’ambiance, inaudible.

Ainsi, par quelque bout qu’on prenne la représentation, tombe-t-on de Charybde en Scylla ou, plutôt, d’Orphée à Morphée, ce dieu dans les bras duquel on se réfugierait bien volontiers pour y trouver la part de rêve et d’onirisme qui manque tant à la scène.

La pièce se joue au Théâtre de la Colline du 2 au 17 septembre et du 29 septembre au 16 octobre 2016.