Archives mensuelles : novembre 2015

Nobody

nobody

© Simon Gosselin

Nobody est une performance filmique dont la technique nous éblouit un temps. Puis, faute d’émotion, la raison s’en mêle et redonne au spectacle sa juste dimension : un bon divertissement, trop propret et efficace pour gagner complètement notre cœur de spectateur.

Le dispositif de Cyril Teste visant à marier théâtre et cinéma est très bien pensé. Pour s’en assurer, il n’y a qu’à considérer l’agencement hors pair du plateau, une fourmilière, qui dans ses dédales aux lignes pourtant claires, offrent de superbes décors dont les coulisses, avec beaucoup d’ingéniosité, ne sont pas même dévoilées. Surtout, la partie filmée n’occulte en rien la partie jouée comme on a pu le déplorer dans des performances similaires — on pense en particulier à Die Gelbe Tapete (Le papier peint jaune) mis en scène par Katie Mitchell à l’Odéon en 2013 où les comédiens finissent par n’être vus qu’à travers l’écran ; on pense encore à la mise en scène de Glückliche Tage (Oh les beaux jours) de Stéphane Braunschweig, proposée en 2014 à la Colline : l’écran vole là la vedette à la scène et s’impose en intermédiaire aussi fascinant qu’importun entre les comédiens et nous. Ici, rien de tout cela, la cohabitation ne frustre ni l’amateur de spectacle vivant qu’aurait pu indisposer le recours à du pré-filmé, ni le cinéphile – quoique… Le film créé sous nos yeux par le Collectif MxM n’est pas, à proprement parler, un chef-d’œuvre ; il ne doit son intérêt qu’à sa conception en direct qui suppose une maîtrise technique de tous les acteurs à commencer par les techniciens (chef opérateur, cadreurs, monteurs ). Il faut aussi dire que le théâtre produit n’est pas grandiose non plus ; ce que nous dit le film du jeu des comédiens n’est pas forcément très spécialement bluffant et l’on ne pourrait se contenter de regarder la scène mais c’est la magie de ce cinéma et de ce théâtre-là, – et – font +. Ils sont l’un à l’autre nécessaires et indispensables et partant ne paraissent en rien négligeables ou anecdotiques.

Forme et fond sont aussi indissociables ici. L’esthétique très léchée, très classieuse (open space, costumes ajustés signés agnès b., dominante noir et blanc) sert la dystopie mise en scène et en film. L’on comprend ici combien l’apparence doit dire l’être au point de lui intimer de se conformer à elle. Personne ne se livre ; le mot de trop est proscrit ; on respire la maîtrise de soi et le mépris de l’autre pour ne pas être dévoré soi-même par ce dernier ni mis au rebut ; on tait toute faiblesse ; on campe sur sa froideur, une froideur amplifiée par les mises à distance que constituent l’écran de cinéma et la superposition de vitres dans cette cage de verre qui figure l’étage d’un gratte-ciel à l’américaine et où les personnages sont enfermés. Or cette froideur propre à figurer la déshumanisation du monde de l’entreprise et le cynisme ambiant gagne le spectateur. Présentés sans âme, les personnages n’ont pas l’humanité qui nous ferait entrer en sympathie voire en empathie avec eux. La voix off pourrait être le lieu d’une pensée rebelle et sensible, ce n’est pas le cas ; fataliste, elle accepte ce diktat de maîtrise de soi et de monstration de force jusque dans la sphère privée qui se confond avec la sphère professionnelle et ne laisse ainsi aucun véritable espace qui permette à la sensibilité d’affleurer sinon de s’exprimer. Ce constat se réaffirme aussi dans les entretiens des uns et des autres avec une psychologue ; aucun ne tombe vraiment le masque ; bien au contraire, tous démontrent de façon assez terrible combien l’existence précède et fait l’essence. On reste ainsi bien à notre place de spectateur. Si l’on est accablé voire sidéré devant cette absence de vie qu’un langage aussi prétentieux que fumeux ne fait qu’exhiber, on ne se sent pas moins, finalement, peu concerné et impliqué.

On regrette ainsi que l’écriture ou plutôt la réécriture d’après Falk Richter manque d’invention pour dire le fond. Le recul pris sur cette vie d’entreprise démente n’est pas suffisant, une vie que l’on déroule de façon bien trop linéaire et plate malgré les intermèdes ménagés grâce aux faces caméra, entretiens avec une psy et retours au domicile conjugal par le narrateur et protagoniste. Il y avait pourtant à faire avec ces personnages qui sans grande humanité n’en ont pas moins un tempérament et des traits bien dessinés. Les scènes de sexe sont en fait les seules à briser quelque peu la glace et c’est dommage que cela ne soit pas fait de façon plus subtile et continue.

Nobody a ainsi le défaut de ses qualités, à commencer par un titre trop bien trouvé, qui souligne quelque peu la vacuité de la performance. On aurait tant voulu, en effet, qu’il y ait quelqu’un sur scène, un personnage, une histoire, quelque chose même, qui nous fasse oublier la technique au profit de l’humain.

Le spectacle se joue du 3 au 21 novembre 2015 au Monfort. Pour les dates de la tournée, c’est ici !