6/7 – TAO Dance Theater

6 tao

©Andreas Nilsson

La compagnie TAO Dance Theater nous propose, avec 6 et 7, deux numéros de danse d’une belle profondeur et d’une belle intensité, aussi bien dans leur unité que dans leur complémentarité.

6 rappelle les œuvres de Soulages par la superposition superbe de noirs qu’elle offre : les danseurs aux costumes sombres évoluent effectivement dans une obscurité que la lumière traverse avec mystère et sublime ; 7 reprend quant à lui la logique du Carré blanc sur fond blanc de Malevitch avec cette lumière crue jetée sur le blanc immaculé qui vêt les danseurs et revêt le sol. Ces couleurs pourraient signifier l’opposition ou souligner les différences qui, s’associant, forment un tout, elles disent surtout, à la manière d’un négatif, le même dans sa complexité.

Dans ce diptyque en yin et yang, demeurent toujours cette forte impression visuelle et cette force du mouvement ondulatoire d’un roseau démultiplié qui plie mais ne rompt pas au gré de ce qui le fait mouvoir incessamment. Les pieds, comme enracinés au sol, et le reste du corps se déhanchant avec une frénésie et une souplesse prodigieuses, semblent, contre vents et marées, tenir la ligne, avant de s’émanciper, peu à peu, toujours en symbiose dans une même cadence et dans une même torsion : de façon insensible et marquée à la fois, les pieds s’arrachent en effet du sol et les mains des hanches pour avancer en rang serré et déterminé avec d’autant plus de naturel et de grâce que la musique épouse les différentes phases de cette transe continue avec finesse et subtilité. Cette unité et cette rigueur qu’impose le rythme n’en laissent pas moins aux danseurs des espaces de liberté et d’expression de leur individualité, comme le rappellent d’une certaine manière les chiffres 6 et 7 servant à nommer chacune des parties de ce spectacle ; ils indiquent le nombre des danseurs employés et évitent, de fait, de fondre ces derniers dans un seul corps.

Dans 6, les danseurs se distinguent à peine de la pénombre dans laquelle ils sont plongés ; jusqu’à leur visage ne se laisse pas voir même lorsqu’ils se retournent après avoir un temps offert leur seul dos au public. On ne saurait ainsi dire si l’on a sur scène des hommes ou des femmes ou les deux encore et cette androgynie magnifique  – manifeste également dans le choix des costumes de Tao Ye et de Li Min – participe d’un nouveau regard porté sur le corps, un corps dont l’humanité en sort grandie malgré son impassibilité face à la rigueur et aux difficultés imposées à sa chair, une impassibilité et une résistance qui pouvaient le transformer en machine de guerre, en robot. Or, justement, s’il se distingue mal dans l’obscurté, il n’en est pas pour autant indistinct et dépourvu de personnalité – nous en revenons aux espaces de liberté évoqués plus haut –, et, partant, il laisse poindre l’humanité derrière l’autorité de l’ensemble et de l’unité affichée.

Dans 7, nous sommes dans le développement du négatif proposé par 6. Le mouvement semble reprendre, identique, mais dans le silence cette fois. Le chemin est connu et l’on peut sans scrupules s’arrêter aux détails qui étaient imperceptibles dans le noir. On réalise ainsi bien vite que l’on ne voyait guère moins (plus ?) dans l’obscurité qu’en pleine lumière. Ce qui se comprenait alors s’affirme ici effectivement : l’androgynie, l’impassibilité des visages et des corps, leur résistance inouïe. On n’est cependant pas dans la redite blanche ; le chorégraphe Tao Ye se découvre aussi compositeur dans 7 et l’on touche en effet à l’essentiel ici avec un corps qui, dansant, produit sa propre musique, d’abord muette puis peu à peu audible avec un bourdonnement qui monte, tantôt sourd, tantôt sonore, des poitrines des danseurs dont les lèvres ne s’entrouvrent pas. Magnifique.

6 et 7, deux numéros qui auraient pu s’additionner, pour notre plus grand bonheur, au-delà du 13 novembre 2015 au Théâtre de la Ville mais qui le feront, à ne pas douter, sur d’autres scènes.

 

Tao Dance Theatre© Tristram Kenton
Le spectacle devait se jouer du 11 au 14 novembre 2015 au Théâtre de la Ville. Pour les dates de la tournée, c’est ici.

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