© Jean-Louis Fernandez
Emmanuel Demarcy-Mota nous offre à chaque seconde de la belle image mais la puissance n’y est pas, ni dans le drame, ni dans le comique, deux vecteurs d’émotion très forts chez Pirandello et dans cette pièce en particulier. Il semble en effet que le metteur en scène pense le théâtre comme devant être photographié et non « simplement » regardé. Cette impression vient sans doute du travail sur la lumière mais pas seulement, tant tout semble posé et posture dans ce spectacle.
La lumière est remarquable, elle dessine les corps et les visages de façon saisissante, leur donnant tout de suite de la grandeur et de la profondeur, capable de les faire surgir – on pense à l’entrée en scène des six personnages en quête d’auteur – ou disparaître à son gré dans des clairs-obscurs tout droit sortis d’un Rembrandt, La Tour ou Caravage mais la force de ces images s’affaiblit rapidement parce que, très vite, elles n’étonnent plus, ne se renouvelant que trop insensiblement pendant les deux heures que dure le spectacle et uniformisant bientôt tout au lieu de tout sublimer. Paradoxalement, on ne finit par ne voir qu’elle et rien n’imprime plus la rétine que ces noirs teintés d’ocre, les personnages ne se distinguant plus assez nettement d’elle, la poudre blanche de leur visage ayant également perdu de son éclat au fil des scènes. Cette lumière lasse d’autant plus qu’elle ne nous est pas inconnue, on la trouvait déjà dans Rhinocéros ou Casimir et Caroline, deux autres spectacles montés au Théâtre de la Ville par son directeur.
Mais revenons au jeu : pas de drame intense, ni de comique fort. Les acteurs sont pourtant généreux et, pour certains, excellents mais ils ne parviennent pas à camper les personnages, à leur donner une personnalité, une identité propre, si l’on excepte les deux acteurs qui ont peu voire pas du tout la parole : Leelou Laridan et Walter N’Guyen. La première interprète parfaitement la petite fille, toute en fragilité, et chante surtout parfaitement – son « File la laine » est très beau –. Quant au second, redisons son nom, il le vaut bien, Walter N’Guyen, il est vraiment merveilleux, tout en torsion et en souffrance du début à la fin du spectacle, il passe admirablement les feux de la rampe et crève l’écran, si l’on peut s’exprimer ainsi puisque le spectacle développe aussi par ses noirs et blancs des aspects cinématographiques. Les autres ? On ne peut leur dénier un certain charisme, en particulier à ceux qui incarnent les six personnages et plus particulièrement encore à Hugues Quester et Sarah Karbasnikoff, mais c’est hélas la seule qualité qu’ils démontrent. Difficile de dire qui sont les personnages qu’ils jouent et l’on ne peut pas même dire qu’il y a volonté patente de jouer sur l’ambiguïté ou le flou ici. Il y a finalement quelque chose de trop désincarné, d’artificiel ou de grandiloquent dans leur jeu pour que l’on soit avec eux. La lumière joue son rôle, l’espace important de la scène aussi mais peut-être aussi cette posture un peu hiératique des comédiens qui se posent en statues à admirer et qui dès lors ont peut-être trop de mal à se mouvoir et partant, à nous émouvoir !
La scène est pourtant animée et les personnages vont et viennent, passant de cour à jardin dans un mouvement rapide, montant et descendant d’un bond les divers praticables mais là encore, cette vie est si bien chorégraphiée qu’elle en paraît artificielle et l’intensité de la pièce s’en ressent. Cette énergie n’empêche pas de surcroît un sentiment de surplace, bien au contraire. Ce n’est finalement que lorsque tout se fige, comme dans une vraie photo, que l’on s’émeut un peu. Même le final ne parvient pas à nous embarquer, les « plans », très beaux, s’enchaînent mais sans fin.
Et le rire dans tout ça ? Pas grand-chose. Rien ne fonctionne franchement, ni le comique troupier adapté à la vie d’une compagnie théâtrale (les planches qui manquent d’étêter un technicien à plusieurs reprises, les états d’âme des comédiens, les remarques acerbes du directeur), ni le rire plus raffiné que devraient provoquer certaines ruptures de ton ou certains contrastes dans l’enchaînement des actions (les rivalités entre les personnages en quête d’auteur et les comédiens, le fils « dramatiquement non réalisé » qui veut « éviter une scène »). Pourquoi ? Parce que tout est encore trop chorégraphié – et sans que cela soit clairement assumé – ou trop diffus, perdu dans un espace peut-être trop grand.
Treize ans que ce spectacle n’avait pas été remonté par Demarcy-Mota… las, on sent bien que le temps a passé depuis…