Si la force du texte de Ödön von Horváth réside dans le tacite, dans cette évidence qui prend pourtant l’aspect du mystère, celui que porte en lui ce soldat revenant de guerre, ce « Don Juan », la faiblesse de la mise en scène de Jacques Orsinski est de n’en presque rien dire ni faire.
Sur le plateau, pas de progression, de tension ou de ruptures propres à surprendre hors celles opérées par les noirs entre les différentes scènes, des noirs qui créent des suspens et crispations, qui dramatisent donc mais qui, répétés mécaniquement, ne font très vite plus impression. Le calme plat règne ainsi quasi uniformément sans laisser place à la moindre tempête d’émotions un tant soit peu saisissantes. La raison en est simple et rapidement établie : le rythme adopté est d’une lenteur constante qui nivelle toutes les répliques et actions des personnages et contamine le jeu des comédiens qui paraît bien souvent d’une grande mollesse – à moins que ce ne soit l’inverse.
Les acteurs n’ont en outre aucun charisme ; c’est au point que rien ne distingue vraiment les comédiennes les unes des autres et, partant, les rôles qu’elles assument, si ce n’est la couleur de leurs cheveux, le timbre de leur voix – et encore ! – et pour les personnages, leurs costumes. Il n’y a guère que Delphine Hecquet qui sorte du « lot » par sa vivacité et sa générosité dans son rôle de serveuse notamment. Dans ce contexte, les hommes pourraient avoir la partie belle, n’étant que deux et jouant des rôles singuliers, l’un incarnant en effet tour à tour une grand-mère, une veuve, une « grosse », l’autre, rien moins que le protagoniste – il est par ailleurs le seul à ne jouer qu’un personnage. Or, il n’en est rien. Jean-Claude Frissung qui se travestit en femmes le fait sans doute aucun très honnêtement mais sans que sa masculinité, évidente, ne soit exploitée. Quant à Alexandre Steiger, notre « héros », son air débonnaire et nonchalant amuse voire intrigue au début de la pièce avant de proprement agacer : son jeu, égal du début à la fin malgré l’évolution du discours et des actions de son personnage, se réduit à cette seule paresse que sa voix peu affirmée et audible confirme.
La mise en scène se veut pourtant léchée et bien pensée, jusque dans les entrées et sorties des personnages, objets et accessoires qui laissent perdurer l’ambiance créée à l’instant avant de s’installer dans une autre. Les divers lieux, symbolisés par différents décors placés sur scène à la manière des plateaux de tournage de séries télé, alternent ainsi de façon harmonieuse mais cette scénographie ne dit rien d’autre que ces changements de décors et apparaît dès lors, au mieux, bien sage, au pire, seulement économique, qui permet de passer rapidement d’un espace à un autre.
Rien à sauver donc si l’on excepte la remarquable bande son qui sert de transition entre les scènes et qui nous aide à trouver le temps moins long, et cette lumière, – et quelle lumière ! – qui, par moments, côté jardin, semble traverser la fenêtre de façon naturelle et rappelle à notre bon souvenir la puissance de celle qui illumine souvent les tableaux d’Edward Hopper (Morning Sun, Sun in an Empty Room, Rooms by the Sea). En dehors de cela, vraiment, point de salut ! Rien qui ne frappe nos sens et notre intelligence si ce n’est le texte de Horváth.
C’est là sans doute le seul pari réussi de Jacques Orsinski qui par cette mise en scène blanche a pu, malgré tout, faire entendre le texte du dramaturge hongrois. Seul ce texte nous préoccupe réellement tout au long de la pièce ; on veut en connaître la fin et c’est assurément ce qui nous motive à supporter la représentation jusqu’au bout tant il ne se passe rien sur scène ou si peu…