© Willy Vainqueur
La mise en scène de Sébastien Derrey séduit peu, qui s’efface complètement derrière le texte au lieu de le porter et de l’éclairer de façon éclatante. On sort effectivement de la représentation avec cette impression bien décevante d’avoir assisté à une simple lecture de l’Amphitryon de Heinrich von Kleist.
La scène est quasi nue, jouant sur un effet « théâtre de marionnettes » – et nous y sommes bien au vu de l’argument de la pièce, les dieux manipulant à loisir les hommes – avec ce rideau rouge, trônant en son milieu, qui représente le seuil de la maison d’Amphitryon et de sa femme Alcmène. Sur le sol, mêlés ensemble, des confetti couleur or et des gravillons couleur terre traduisent sans doute la collusion du divin et de l’humain tout comme l’étagement du plateau pour dire la supériorité de l’un sur l’autre, notamment par l’entremise du personnage de Mercure, messager bien connu des dieux, quand il s’adresse à Sosie. Bref, rien que du très sobre et l’on comprend ainsi vite que la pièce va essentiellement reposer sur le jeu des acteurs, d’une part, et, d’autre part, sur la dramatisation inhérente à cette atmosphère enténébrée et mystérieuse que le noir ambiant et le rideau occultant sus-cité confèrent. Or ni l’un ni l’autre ne vont faire effet et fonctionner, ni le jeu des acteurs, ni la dramatisation de l’action. De fait, l’épure de la scénographie ne fera qu’exhiber les défauts des comédiens et de leur direction par Sébastien Derrey au lieu d’en magnifier les rares et bien maigres qualités.
Si le texte est, dans son ensemble, délivré de façon expressive, la lenteur du propos et du tempo imprimé, achève de nous confiner dans une certaine léthargie, que l’obscurité dans laquelle on nous plonge souvent ou une lumière plus crue n’aident pas à dissiper. Tout est effectivement dit sur le même ton ou presque, si l’on excepte les quelques fracas verbaux et physiques qui secouent certains personnages et réveillent de temps à autre ce spectacle bien morne. Nous sommes très loin du registre comique attendu – même si l’on réalise bien que Kleist n’est pas Molière – ou de l’hypnose voire de la fascination que pouvaient provoquer ces choix esthétiques de Sébastien Derrey en regard de la situation proprement hallucinante, paralysante et inconcevable que vivent les personnages et, en particulier, Amphitryon et Sosie, dépossédés d’eux-mêmes et complètement aliénés dans cette spécularité que leur imposent Jupiter et Mercure. On sombre, bien au contraire, dans l’endormissement de cette « lecture » excessivement lente et articulée de la pièce, sans autre réelle montée en tension que celle intrinsèque au texte de Kleist.
Il y a certes de la tenue dans les mots et les gestes mais elle est si sensible qu’elle finit en carcan et en rigidité. Les personnages apparaissent ainsi monolithiques et n’en sont que plus soporifiques à l’instar de ce qui se passe avec le personnage de Mercure que Charles Zévaco, entre flegme et sadisme, interprète sans grande nuance ou celui d’Alcmène (Nathalie Pivain), vertueux au possible mais dont le charme, celui qui, à l’image d’Hélène, peut déclencher une guerre, est tu. On regrette dès lors que le talent de certains acteurs reste potentiel, en puissance donc et non en acte, comme celui d’Olivier Horeau (Sosie) dont la force comique n’est guère exploitée ici ou celui encore de Frédéric Gustaedt (Amphitryon) qui est le seul à naviguer un tant soit peu entre tragédie et comédie dans cette mise en scène ennuyeuse et sans autre surprise et novation que cette articulation excessive et lente des répliques. D’autres écueils, plus problématiques, nuisent à la qualité de la réception de la pièce : le jeu de Catherine Jabot (Charis) sonne terriblement faux et celui de Fabien Orcier est particulièrement mou – loin de l’image du tonitruant et amoureux facétieux de Jupiter, il semble vouloir incarner l’autorité et la force tranquille du roi de l’Olympe mais fait plus pépère que père des dieux – ; quant à la participation de la blonde Thébaine du « jour », elle donne dans l’amateurisme – mais c’est là encore un moindre mal puisque son jeu emprunté se justifie, d’une certaine manière, par la maladresse qu’un quidam, face à un roi, pourrait montrer –.
Les presque trois heures que dure le spectacle ne passent heureusement pas aussi lentement que la diction des acteurs et l’action qu’on attend quasi en vain – l’assoupissement peut-être, l’écoute d’un texte intéressant sûrement en sont cause –, mais tout de même, on espérait tellement mieux…