Le Paradis

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C’est un film qui se présente comme expérimental et ce n’est rien de le dire ! En quoi l’est-il ? La réponse qui s’impose est déroutante : on a du cinéma, autrement dit, de l’image et du temps, et uniquement cela, d’où cette impression de vanité, d’œuvre insensée où l’on n’a pas à proprement parler de scénario, où les plans et paroles se succèdent de façon décousue. Une œuvre « inutile » est précieuse car rare dans cette société de consommation et, partant, elle est donc nécessaire et utile.

Le sujet apparent du film est pourtant profond et constitue un fil d’Ariane solide. Loin d’être dérisoire, il touche en effet à l’universel, relisant, revisitant, réinterprétant, entremêlant la Bible, la mythologie gréco-romaine et la petite histoire des hommes, des animaux, des minéraux, des objets. Et pourtant, on comprend vite qu’il y a une face immergée de l’iceberg : cette image qui fascine, qui hypnotise, et cette expérience du temps. Malgré tous les beaux discours qui s’enchaînent et les leçons fécondes qui en découlent, on ne voit que l’une et l’on ne ressent et n’éprouve que l’autre.

L’image est belle, esthétique mais pas esthétisante, ni froide. Cela est sans doute le résultat d’un contraste fort entre des mouvements de caméra fébriles qui respirent le n’importe quoi voire le kitsch – zooms heurtés, mises au point visibles, travellings aussi fébriles que la voix off fatiguée et comme improvisée – et la lumière, le cadrage et la poésie sublimes de la majorité des plans.

Il est vrai que l’on a peur au début d’être tombé dans un mauvais traquenard avec plus d’amateurisme que de beauté dans l’image et le propos – à quelques plans forestiers près – mais dès que le zoom sur le cœur de la montagne prend du recul, un recul d’abord saccadé puis parfaitement maîtrisé et vertigineux, le film prend son essor et l’on comprend que ces premières images, ce n’était que du chiqué, qu’une menace prometteuse.

Si par ailleurs, ces soixante-dix minutes que dure le film s’étirent étrangement, ce n’est pas le signe d’un ennui mais celui que l’on donne le temps à l’image de s’épanouir et de transmettre. L’aspect décousu du propos fait également que l’on a le sentiment que cela pourrait s’arrêter net aussi bien que pas du tout. Le temps est donc comme suspendu, ce qui n’est pas un luxe aujourd’hui !

Chapeau bas pour ce cinéma-là.

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