Gone girl est un thriller psychologique atypique parce qu’il ne joue pas tant sur nos nerfs que sur ceux des personnages. Et la nécessaire identification aux protagonistes, alors ? Heureusement pour nous, elle n’est pas vraiment permise : la folie, omniprésente dans le film, nous met à distance des personnages parce qu’elle est constante et extrême chez eux. David Fincher met en avant des hommes et des femmes machiavéliques, égocentrés, alimentant des relations sado-masochistes consenties comme à l’ « insu de leur plein gré » ; parallèlement, il montre la furie destructrice des médias qui s’emballent et manquent volontairement de discernement pour faire le buzz. On est effaré devant tous ces faux-semblants mais de façon paradoxale, c’est cette distance et cet ancrage psychologique qui font que l’on s’intéresse au film, qu’on est embarqué dans l’histoire et que l’on ne voit pas les deux heures trente qu’il dure passer. C’est comme si l’on nous imposait un statut de psychanalyste et que tour à tour les personnages, autant de cas fascinants, prenaient place sur notre divan. C’est même après que le fin mot de la disparition de Amy, incarnée par Rosamund Pike, soit donné pour le moins précocément, que l’on veut en savoir le plus sur ces patients étranges, pour ne pas dire étrangers à nous-mêmes…
Le scénario ne fait pas tout ici, loin de là. Il est très bien servi par la performance des acteurs qui sont tous très bons, avec une mention spéciale tout de même pour le tant décrié Ben Affleck – Nick, le mari d’Amy dans le film. Par le jeu des mises en abyme, les acteurs jouent des personnages eux-mêmes en constante représentation et très bons acteurs. L’une des scènes-clés, très habilement filmée, est celle où Ben Affleck se regarde à la télé interviewé ; le moment est fort car les masques tombent et le paraître se distingue de l’être. On voit alors à l’oeuvre, souligné par les réactions de Margo, la soeur de Nick (Carrie Coon), le travail du personnage – comédien, le work in progress. On pense également à la scène où un personnage prosté devant une porte vitrée, feint de pousser un cri parce qu’il se sait filmer.
Un film plein de force donc mais non dépourvu de faiblesses. Peu de gens sains et une vision du monde trop caricaturale empêchent une réflexion réelle et profonde même si le film résonne longtemps après son visionnage. La distance avec les personnages est d’ailleurs si forte – et le film termine dans une certaine apothéose de ce point de vue – que le spectateur a plusieurs reprises rit, à l’instar de Tanner Bolt (Tyler Perry), l’avocat engagé par Nick ; le spectateur rit quand il devrait simplement être horrifié, tant les hommes se présentent à nous, soit monstrueux de perversité, soit monstrueux de bêtise, tant ils semblent trouver normal et anodin un déchaînement de violence gratuite. Nous ne trouvons finalement que peu de relais à nous-mêmes si l’on excepte la soeur de Nick, son avocat et peut-être l’officier Boney en charge de l’enquête (Kim Dickens), les seuls à être à peu près « normaux » et rationnels. Mais ce sont des personnages secondaires qui ne nous rassurent pas, étant loin de contrebalancer le vent de folie qui règne dans ce film. On remarque d’ailleurs qu’ils encaissent différemment les événements : l’un rit – l’avocat –, l’autre pleure – la sœur – l’autre encore se résigne – l’officier –. Trois postures qui ne satisfont pas.
Peu de gens auxquels s’identifier et, partant, pas suffisamment d’humanité dans ce film. Pas d’image exceptionnelle et impressionnante non plus par le choix d’un cadrage, d’une lumière ou d’un grain particuliers. Le plan sur la tempête de sucre aurait pu rester dans nos têtes par exemple, l’intention était belle, mais le cinéaste perd ici son pari poétique.
Bref, le film est un excellent divertissement mais aurait pu être davantage encore cinématographiquement.