© Elisabeth Carecchio
Tout commence très bien avec une scénographie surprenante de tournoiement qui ménage des entrées crispantes et partant, captivantes. Celle du comédien Charlie Nelson qui joue alors Antoine est très réussie. Clown triste, décadent et décati, se débattant dans les vapeurs de l’alcool et de la nicotine, il habite la scène dans une légèreté grave qui questionne et contribue ainsi à planter un décor en l’habitant magistralement, donnant ainsi du sens à cette roue d’infortune grise dans laquelle il semble avoir été pris et que l’on voit en branle derrière lui. Ce moment est saisissant. La suite est moins plaisante.
Beaucoup d’effets tombent à plat sitôt les autres personnages apparus. C’est le cas des paroles chorales ou canonnées. On comprend bien l’intention mais on y voit surtout l’artifice de la facilité. Plus subtil est le travail sur le masque que les personnages disent mettre – au sens figuré – dans le texte et qu’ils portent au sens propre sur scène, un masque qu’ils arborent précocement puisqu’ils l’enlèvent au moment même où ils s’enjoignent de le mettre. Le dénouement est ici annoncé de façon intéressante par ce jeu de faux-semblants. Les masques, en carton, comme bricolés, ne cachent finalement rien. Mais dans cette finesse, il y a de l’outrance car contrairement à ce qui est suggéré ici, les personnages ne sont pas tous hypocrites vis-à-vis de la mission qu’ils poursuivent et vis-à-vis d’eux-mêmes surtout.
Si dans les moments de gravité, le jeu des comédiens impressionne de solennité et d’intensité – on pense en particulier à Stefan Konarske dans son ascenseur –, ce jeu est moins convaincant et riant dans le grotesque et le fantasque, sans doute parce que la mécanique du rire est trop rodée et trop à vue pour emporter le rire, à l’instar de ce qui se fait dans la mascarade entre Sasportasrobespierre et Galloudecdanton. Or, c’est dans ces moments de folie et d’irrationalité, où la ligne de la pièce se perd et résiste pour le lecteur, que la scène avait son rôle à jouer, que l’on aurait souhaité trouver un dispositif scénique ou scénographique porté par les comédiens qui sonne juste et éclaire dès lors la « logique » du texte. À croire que le metteur en scène, Michael Thalheimer, a voulu, dans ces moments d’étrangeté, forcer le rire du spectateur pour que ce dernier occulte leur complexité et n’en recherche pas le sens, un sens qu’il ne s’est vraisemblablement pas donné la peine de trouver. Dans ces passages où le théâtre se met en abyme, on regrettera aussi l’absence de charisme de Noémie Develay-Ressiguier qui joue les rôles de l’ange du désespoir et de Premier amour sans jamais véritablement les incarner. La fin s’en ressent terriblement.
Devant cette Mission que met en scène Thalheimer, on pèse bien trop le pour et le contre pour être totalement emballé.