© Christian Berthelot
Comme à son habitude, Yann-Joël Collin nous surprend en offrant d’un classique, une lecture bien à lui et dans le même temps si évidente, si cohérente, si probante… Cela est en grande partie dû à l’attention toute particulière portée à l’espace de jeu.
Le théâtre – le lieu théâtre – est ici un personnage tant il semble avoir un rôle à jouer, tant le metteur en scène le met en avant, compose avec lui de manière frappante, fait de lui un « partenaire ». À l’instar de ce qu’il avait fait au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis pour Dom Juan, tous les espaces du théâtre sont investis, grâce à la caméra notamment : plateau évidemment, sièges des spectateurs, coulisse, coursives, accueil, entrée… Ainsi, pas l’ombre d’un quatrième mur, et la pièce s’en trouve d’autant dynamisée, et ses ressorts d’autant amplifiés, que cela rend le spectateur actif – c’est sur lui, aussi et surtout, que le metteur en scène porte une attention toute particulière –.
Les spectateurs sont en effet partie prenante, dans la pièce elle-même, où ils sont interpellés ou filmés par les comédiens, et même hors de celle-ci quand ils sont invités à se restaurer sur le plateau en compagnie des comédiens pendant l’entracte. On est dans le présent du théâtre vivant. On a cette conscience très forte que ce qui se joue devant nous se joue, n’a jamais été joué et ne se jouera plus. Le travail de la caméra lui-même entre dans cette hyper-actualité, ne mettant pas à distance mais nous rapprochant des comédiens et, partant, des personnages par les gros plans pratiqués en direct et le plus souvent sous nos yeux. Filmant une matière vivante et non « réchauffée », la caméra n’est pas morbide ou mortifère mais plutôt euphorisante quand elle ne filme pas trop longtemps – la captation de l’entretien de Trigorine avec Nina, même pertinente et faite en direct, est un peu trop longue parce que trop longtemps dans un hors-champ du spectateur –. Très intelligemment, la caméra nous éloigne de la fiction cinématographique en produisant plutôt l’authenticité et la « vérité » du documentaire. Ce travail était déjà très fort dans sa mise en scène du Songe d’une nuit d’été il y a quelques années aux Ateliers Berthier de l’Odéon, il est davantage présent et plus fin encore dans cette Mouette, peut-être parce que la scénographie se veut ici épurée avec un unique praticable et quelques chaises posés sur un plateau nu.
Dans ce grand espace vide, noir, haut et profond, la pièce se donne sans doute aux spectateurs de façon plus claire, plus simple, plus franche, plus frontale aussi et nous parvient de façon plus limpide et plus directe aussi parce que la direction d’acteurs est toujours préoccupée de nous, spectateurs. Souvent tournés vers nous quand ils parlent (l’interlocuteur étant alors, généralement, dans le public, cela apparaît naturel et non artificiel – laissons Stanislas Nordey où il est –), les comédiens font de nous, tour à tour, Irina, Nina, Macha, Kostia… et c’est sans doute pour cela que l’on ne voit pas le temps passer – trois heures de spectacle tout de même –.
Tout cela favorise une immersion complète dans le texte, respecté ici aux points de suspension près, y compris dans ces transpositions des chants populaires russes en chansons populaires françaises que s’est permis le metteur en scène, toujours dans le souci de respecter l’esprit de la pièce – à défaut de la lettre –, toujours dans ce souci que le texte nous parle.
Le travail de Yann-Joël Collin et de sa fine équipe – on pense en particulier à Pascal Collin et à Thierry Grapotte – est tout à fait remarquable et exceptionnel. Courez-y !