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Tosca

tosca-2© Charles Duprat / Opéra national de Paris

Cette Tosca de Puccini ne laissera pas un souvenir impérissable tant tout ou presque – la mise en scène de Pierre Audi, les jeu et voix des chanteurs et la direction musicale de Dan Ettinger -, au fil des trois actes qui la composent, ne produit rien d’autre que de l’indifférence.

Le premier acte s’ouvre pourtant sur un tableau saisissant avec ce voile qui nous sépare de la scène. « Peint » très subtilement d’une brume nocturne et arborant une ombre dont on ne sait si elle représente l’ange de la mort ou la chute finale de l’angélique Tosca, il est effectivement du plus bel effet. La scène finale, quant à elle, se quadrille dans une belle frontalité et redouble avec puissance la croix massive qui « trône » au centre du plateau pour figurer le transept de l’église où se situe l’action. Scarpia (Bryn Terfetl) offre alors déjà à cet impressionnant tableau un baiser qui tue, hypocrite et terrible. Mais voilà, entre ces scènes d’ouverture et de fermeture, rien de palpitant, ni la traque à laquelle veut échapper Cesare Angelotti (Alexander Tsymbalyuk), ni l’apparition et la présence de Floria Tosca (Liudmyla Monastyrska), ni ce que peint Mario Cavaradossi (Marcelo Álvarez). Une fois le voile levé sur la scène, c’est plutôt la hideur qui règne, à commencer par celle du tableau représentant une Marie-Madeleine perdue au milieu de nymphes et loin d’incarner la beauté de celle du livret de Giuseppe Giacosa et de Luigi Illica mais surtout, celle de cette croix qui s’impose très lourdement au milieu de la scène. On comprend bien la symbolique qu’elle porte, celle du sacrifice et de la passion – terme à prendre dans toutes ses acceptions -  mais elle empêche toute profondeur de champ et d’action, en dépit du passage qu’elle ouvre au lointain. Surmontée d’affreux garde-corps, elle ne permet pas même de dramatiser les entrées et les sorties qui se font en hauteur si l’on excepte, peut-être, celle de Scarpia. C’est peut-être pour cela que la Tosca fait son apparition sur scène côté cour, apparition étant un bien grand mot ici, puisqu’elle entre quasi incognito, presque sur la pointe des pieds, Liudmyla Monastyrska n’ayant pas un charisme à arrêter le temps ni à couper le souffle. De fait, la scénographie déçoit d’autant plus terriblement que les acteurs aussi. Leurs voix ne transcendent guère effectivement, montant trop brusquement dans les tours et s’harmonisant mal entre elles.  Le chant de Liudmyla Monastyrska étouffe souvent celui de Marcelo Álvarez qui lui-même est trop souvent rendu inaudible par les instruments de la fosse, ce qui permet à l’orchestre – à toute chose malheur est bon – de ne pas être tout à fait oublié… Le jeu des chanteurs n’est pas plus fameux et sent quelque peu la poussière. Alexander Tsymbalyuk n’a pas la prestance du révolté qu’il incarne ni ne suscite la compassion pour le misérable, le « Jean Valjean » échappé des galères et à bout de force qu’il interprète ; Marcelo Álvarez est quelconque en bon vivant, en bon amant ou en bon ami ; quant à Liudmyla Monastyrska, elle sait davantage prendre des poses de tragédienne antique ancienne que minauder, être jalouse, être en authentique souffrance, au point que le personnage de Scarpia, est bien plus séduisant que la Tosca. Sans en faire trop, Bryn Terfet marque davantage les esprits. D’une grande platitude dans l’ensemble, le premier acte laisse donc sur notre faim.

Encadré par deux scènes qui font impression, le deuxième acte reprend la même architecture déceptive. La croix, suspendue cette fois, donne de la hauteur et de la profondeur à ce qui se joue sur scène et le choix des couleurs qui tapissent les murs est assez édifiant : le rouge sang, le noir et le blanc qui côtoient des ornements faits d’aigles sont autant de motifs hitlériens proprement effrayants et qui disent assez la tyrannie du baron Scarpia. Cette porte qui, fermée à clé, s’ouvre sans à la fin de l’acte pour livrer un passage vers la liberté à la Tosca, comme la mer rouge devant Moïse sous l’impulsion divine, est superbe même si l’on regrette le contresens qui est fait… au passage… Dans le livret original, ce n’est pas une porte fermée à double tour qui contraint la Tosca à rester chez Scarpia mais plus tragiquement, comme le dit le baron lui-même, son amour pour Mario.

Ella verrà… per amor del suo Mario !
Per amor del suo Mario al piacer mio s’arrenderà/
Tal dei profondi amoriè la profonda miseria

« Elle viendra… pour l’amour de son Mario !
Pour l’amour de son Mario, elle se rendra à mon plaisir.
C’est là des profondes amours la profonde misère. »

Cette fin d’acte n’en est pas moins belle mais voilà, entre ces scènes d’ouverture et de fermeture, rien de haletant ou d’angoissant, ni le chantage que fait subir Scarpia à la Tosca, ni la perspective d’un viol imminent, ni même la question pourtant plus tangible à laquelle le baron soumet Cavaradossi – n’en déplaise au cuir qui vêt le bourreau, un cuir sans doute plus italien que les costumes des autres personnages qui ne font pas sensation. La tension n’est ainsi jamais au comble attendu parce qu’il n’est guère ménagé, par la scénographie, le jeu ou le chant, de montée en tension ni de dramatisation véritables.

Le troisième acte, qui plus court que les précédents et apportant le fin mot de l’histoire, devait constituer cet acmé qui fait tant défaut mais voilà rien de bouleversant ; Pierre Audi et « sa » troupe manquent encore leur coup. On n’a même plus la beauté d’une ouverture captivante mais plutôt la tristesse désolante d’une morne plaine ; quant à la scène finale, elle trahit une nouvelle fois le livret et nos attentes en s’abîmant dans une lumière de bout de tunnel un peu trop facile pour sidérer.

Cette Tosca n’est certes pas un calvaire mais ce n’est pas non plus l’extase, tant elle nous laisse de marbre.

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© Charles Duprat / Opéra national de Paris
L’opéra se joue du 17 septembre au 18 octobre 2016 à l’Opéra Bastille.