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Traviata – Vous méritez un avenir meilleur

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© Pascal Victor/Artcomart

Benjamin Lazar, Florent Hubert et Judith Chemla revisitent avec humour et élégance La traviata de Verdi. Ils évitent les facilités du mélodrame en laissant notamment le parlé surplomber le chanté mais, ce faisant, le pathos en pâtit et leur Traviata perd de cette ampleur tragique qui fait la beauté de l’œuvre originale. Si l’on ne sort pas de la pièce bouleversé, l’on passe tout de même un très joli moment.

Su via, si stenda un velo
sui fatti del passato;
già quel ch’è stato è stato,
badiamo all’avvenir.

« Allons donc, jetons un voile
sur le passé.
Ce qui a été a été,
songeons donc à l’avenir.»

La traviata, Verdi.

Ce voile est bel et bien tangible sur la scène qu’il recouvre entièrement et dans une belle transparence et les spectateurs qui, s’installant, le découvrent, ne peuvent que tomber sous le charme de sa portée symbolique et poétique, spécialement dans ce cadre si singulier qu’offre le théâtre des Bouffes du Nord. De fait, ce voile dit d’emblée l’essentiel de la pièce et toute son ambivalence. C’est effectivement le voile d’une union sacrée qui se passe de la bénédiction divine aussi bien que celui du linceul mortuaire ; c’est le voile qui ouvre la porte du paradis des sens, à l’instar des robes de courtisanes que portent Flora et Violetta surtout, aussi bien que celui dont on revêt le mobilier d’un lieu désolé ; c’est aussi toute la légèreté que ce voile évoque, celle d’une vie oisive, lascive et insouciante aussi bien que celle des ailes que donne le grand amour ; c’est encore, que l’on connaisse ou non l’argument de Traviata, le voile du mystère de la représentation que l’on va bientôt lever avant de le laisser retomber. Jusqu’au premier chant, la pièce patine cependant sensiblement dans cette gaze. Si les premières lueurs de lampes à pétrole éclairent le début du spectacle de façon palpitante comme la présence du médecin l’enténèbre aussitôt, le brouhaha de la fête qui se prépare chez Violetta prend vite un aspect brouillon que l’humour, aussi taquin que coquin, ne fait pas oublier. C’est que le parlé trouve mal sa place dans ce qui est à l’origine un opéra et le chant peine, dans cette première partie, à jaillir et à émerger de ces mots inventés ou revisités par le trio Lazar-Hubert-Chemla. C’est que la parole ne se trouve jamais aussi belle et séduisante que lorsqu’elle est chantée, excepté les rares moments où, « parlée », elle est accompagnée au piano ou mêlée dans un concert de voix.

Les deuxième et troisième actes sont toutefois plus enlevés, étant davantage portés par le chant et l’orchestre. L’atmosphère que créent les fleurs apportées sur le plateau dans un savant ballet d’instruments n’y est pas étrangère non plus, que ces fleurs symbolisent l’Arcadie d’un printemps et d’une retraite champêtres, aussi caravagesques qu’arcimboldiens, nous fassent entrer dans un jardin d’hiver ou représentent plus évidemment des gerbes funéraires qui donnent à Violetta (Judith Chemla), malgré l’absence du motif de l’eau, des allures d’Ophélie de Millais. Mais les paroles « parlées » empêtrent le tragique et le lyrique et les empêchent de se déployer complètement ; cet entrelacs chanté-parlé crée en effet des ruptures comiques et verse de facto dans un prosaïsme qui coupe court à tout épanchement. L’intensité n’est ainsi pas au degré attendu malgré le resserrement de l’action opéré sur le personnage de Violetta et les détours par La Dame aux camélias sous forme de prolepses funèbres, prolepses qui paradoxalement occulteront presque la mort, au final de la pièce. Si la scénographie de Benjamin Lazar laisse toujours, sous différentes formes, la mort apparente (la présence du médecin, le teint cadavérique de Violetta, la tombe elle-même…), la légèreté, jusque dans les bons mots du médecin (Florent Baffi) dont on gardera plus le souvenir d’un polisson que d’un homme prescrivant la fatalité, perdure sans doute trop pour que notre cœur se serre tout à fait face au drame de Violetta et d’Alfredo.

La mise en scène de Benjamin Lazar n’en sonne par moins juste à bien des égards. Outre cette polyvalence et cette ambivalence des objets évoqués plus haut (le voile, les fleurs) qui servent de caisse de résonance au propos de la pièce et structurent même cette dernière par leur placement et déplacement, le choix de cet orchestre sans fosse fixe et faisant partie intégrante du jeu des comédiens est superbement pertinent, rendant par là bien compte de la liaison opératique et organique de la musique et du théâtre. On aime particulièrement ces moments où les airs de violon et de clarinette se substituent à la parole de la diseuse de bonne aventure de l’opéra de Verdi ou lorsque Violetta fait corps avec la violoniste (Marie Salvat) et son instrument, comme pour mieux entendre son propre cœur. Les musiciens, à l’énergie et au plaisir du jeu communicatifs, sont la clé de voûte du spectacle et Judith Chemla, aussi bonne actrice que cantatrice, sa pièce maîtresse. Sa prestation est telle qu’elle enchante mais fait également déchanter ; elle est effectivement par sa force une faiblesse tant les autres comédiens, à côté d’elle, font pâle figure (si l’on peut dire…). Damien Bigourdan (Alfredo Germont) est peu convaincant en amoureux transi qu’il interprète plus qu’il n’incarne ; Jérôme Billy est certes taillé pour l’autorité de Giorgio Germont mais joue un père monolithique ; Benjamin Locher excelle au cor mais grimace bien trop le baron bafoué ; quant à Élise Chauvin, elle est assez sans grand relief, qu’elle joue Flora ou Anina. Le spectacle demeure malgré tout plaisant à regarder et à écouter mais hors les musiciens et le rôle-titre, on le ressent bien, point de salut ou presque et la magie du lieu et de la mise en scène de Benjamin Lazar ne peut dès lors tout à fait opérer et nous porter aux nues.

Le spectacle se joue du 17 septembre au 15 octobre 2016 au Théâtre des Bouffes du Nord. Pour les dates de la tournée, c’est ici.