© Reza Ghaziani
Chaque jour un peu plus retrace le parcours amoureux de trois femmes. Si les mots de Mahin Sadri peuvent toucher, la mise en scène d’Afsâneh Mâhian pèche par son absence de théâtralité, laissant peut-être trop d’espace au texte qu’elle contredit par ailleurs voire dévoie d’une certaine manière.
La force de Ham Havâyi (titre original de la pièce, qui veut dire « acclimatation » en français) tient à son caractère universel. Les protagonistes sont des femmes, iraniennes, mais le sexe et la nationalité importent peu ici ; s’il y a bien des références, de ci, de là, aux inégalités entre hommes et femmes aux dépens de ces dernières (le droit au divorce, la difficulté pour une femme d’occuper seule un logement, l’absence d’héritage pour les veuves, etc.), le premier propos de Mahin Sadri n’est manifestement pas de les dénoncer mais de « simplement » montrer comment trois individus s’efforcent de trouver leur place au sein ou en dehors d’un couple plus ou moins heureux ou boiteux. Tout à chacun peut ainsi se reconnaître dans la volonté de Shahlâ (Sétâreh Eskandari), Leylâ (Bârân Kosari) et Mahnâz (Elhâm Kordâ) d’être complètement elles-mêmes en embrassant jusqu’à la déraison leur passion. C’est d’ailleurs par ce seul regard porté sur la femme, un regard qui fait d’elle un être humain comme « les autres » que, de façon originale, le militantisme féministe point. Il est donc plus que dommageable qu’Afsâneh Mâhian enferme ces personnages dans ce cliché de la bonne ménagère en ne trouvant rien d’autre, ou si peu, que la cuisine pour unir sur scène leur destin.
Le temps du spectacle, les comédiennes cuisinent en effet, vraiment. Cela apparaît assez extravagant de prime abord et suscite dès lors l’intérêt mais très vite, cela s’avère anecdotique et artificiel, la cuisine se faisant à l’arrière-plan, aux sens propre et figuré. Elle ne sert, de fait, que très peu la dramaturgie sinon au début et à la fin de la pièce. La métaphore culinaire, qui pouvait pourtant être riche de sens en mettant sur un pied d’égalité ce besoin vital de manger et celui non moins essentiel d’aimer (les petits plats préparés et mijotés avec amour, les petites blessures que, trop confiant ou naïf, on se fait, les couleuvres à avaler comme autant de couverts à nettoyer, tous les sens mis en éveil…), retombe comme un soufflet. On voit et sent à peine ici ce qui se trame dans les fourneaux et le dire du texte ne se fait pas suffisamment à l’unisson de la préparation et de la cuisson des plats. On aurait aimé que cette cuisine, qui est aussi et surtout, même si on peut le déplorer, l’espace féminin par excellence dans l’imaginaire collectif, soit le lieu d’un détournement, d’une prise de recul, d’une révolte d’autant que le texte n’est pas exempt d’humour et d’ironie. Il n’en est presque rien ici… Difficile, dans ces conditions, de ne pas seulement voir dans cette cuisine une manière d’occuper celles qui ne parlent pas sinon de réunir, avec facilité, ces femmes, comme si les mots et leur vécu n’y suffisaient pas et qu’il fallait chercher ailleurs un truc pour gagner une cohérence sur scène. Si les comédiennes savent, dans un jeu bien distinct, être vibrantes et justes dans leurs émotions, elles versent par moments trop complaisamment dans le pathos et ne relèvent pas, à elles seules, le défi de mettre en gestes, en voix, en scène ces monologues douloureux.
On est ainsi, dans cette mise en scène de Chaque jour un peu plus, dans un trop peu théâtral et un trop plein littéraire qui nous conduisent tous deux à la conclusion suivante : une simple lecture eût été moins frustrante et, partant, préférable.