Danser à la Lughnasa… une pièce dont le seul titre, pour qui ne l’aurait pas lue, est plein de promesses poétiques, de promesses d’ailleurs… des promesses, hélas, non tenues ici. Le temps s’étire avec ennui tant la mise en scène est sans réel relief, aussi peu inventive que récréative. Didier Long passe à côté de son sujet : la nostalgie et la tendresse attachées aux souvenirs d’enfance.
Le metteur en scène ne rend en effet pas assez prégnante la richesse de ce texte de Brian Friel (titre original : Dancing at Lughnasa), cette tension entre la parole surplombante de Michael, le narrateur – qui n’est pas sans rappeler celle de « Moi » dans Toujours la tempête de Peter Handke ou celle encore de l’avocat Alfieri dans Vu du pont d’Arthur Miller – et la mise en scène de ce que cette parole rapporte de l’enfance du narrateur. D’un côté, la connaissance et la prédiction des drames à venir qui ont trait au mensonge, à la séparation, à la mort ; de l’autre, l’insouciance et les bonheurs simples d’une famille qui ne se vit pas moins cahin-caha, malmenée par le dénuement et l’absence d’hommes dans cette fratrie de cinq sœurs, absence telle que leur rare présence devient problématique : le frère malade qui ne se ressemble plus, le père éphémère sur lequel on ne peut compter, le fils qui n’aurait pas dû naître et qui est, d’ailleurs, comme mis de côté, à peine « matérialisé », sans oublier ce voleur, terrible, d’innocence, qui n’apparaîtra jamais. Tout cela, vraiment, est peu sensible dans ce travail scénographique de Didier Long qui aplanit tout, jusqu’à « abattre », en ne les rendant pas visibles, les murs séparant l’intérieur de l’extérieur, sans pour autant donner un sens bien profond à cette « transparence » et créant ainsi un espace scénique plus indigeste qu’ingénieux. Tout se dit dans le même tempo et sur le même ton, rien n’est proprement souligné. Il n’y a guère que les silences qui accompagnent l’entrée de certains personnages ou le drame, d’une part, et le surgissement de Marconi qui, en bon poste de T.S.F., invite toujours à la danse d’autre part, pour suspendre un peu et délicieusement le temps et nous intéresser à la scène.
Reprenant quasi à l’identique les didascalies de Friel (décors d’époque, jeux de lumière, poses de statues des personnages…) mais d’une façon poussive et poussiérieuse qui sent la naphtaline, Didier Long a de toute évidence misé sur le seul talent de ses comédiens pour nous embarquer dans cette danse irlandaise. Or le bât blesse aussi de ce côté-ci. Dans son murmure, la voix de Philippe Nahon (Michael, le narrateur) est d’une humanité indéniable mais elle nous berce plus qu’elle ne nous perce le cœur et ne porte pas assez ; elle ne pèse guère, en effet, telle une chape de plomb, sur les scènes de famille arrachées au passé, scènes que l’on aurait souhaitées davantage intimes et intimistes et davantage perçues comme des lambeaux de bonheur vécu en toute inconscience et déjà perdu. Les acteurs jouent, pour certains, de manière trop théâtrale pour qu’ils nous paraissent tout à fait authentiques et touchants. On pense en particulier à Claire Nebout et son accent campagnard trop appuyé, à Alexandre Zambeaux dont le jeu peu nuancé fait office de gros sabots et à Florence Thomassin qui voulant trop manifestement jouer juste surjoue. Léna Bréban dans le rôle d’Agnès est, quant à elle, quelque peu transparente. Il y a surtout que chacun jouant sa partition (la matrone, le beau parleur, la délurée, la sérieuse, l’ingénue…) sans se préoccuper d’être à l’unisson, l’ensemble sonne faux. Si Lou de Laâge campe remarquablement la femme enfant qu’est Chris, Lola Naymark, Rose, la simple d’esprit, et Bruno Wolkowitch – celui qui, dans cette distribution, tire le mieux son épingle du jeu –, le missionnaire aussi sage que fou et lunaire qu’est Jack, leur charisme ne suffit pas à pallier les travers et les manques de cette mise en scène sans charme que nous impose Didier Long.
Dommage. On aurait bien aimé danser à la Lughnasa.