© Caro Roa
Les comédiens sont généreux, pleins d’allant et d’énergie mais nous font trop souvent vivre un calvaire par leurs cris continus dans Cette Imaginación del futuro mise en scène par Marco Layera.
Il y a pourtant de l’idée avec cet épisode passé – le coup d’état de Pinochet et la mort subséquente d’Allende – que l’on revisite dans un futur indéfini avec des données, des personnages, un regard et le recul, cynique, actuels. Il y a aussi de l’idée dramaturgique avec ces ministres du président qui, à plusieurs reprises, poussent ce dernier à revoir sa copie pour l’enregistrement de ce qui pourrait être son ultime allocution, des ministres qui vont également le pousser à revoir son destin – et si l’histoire pouvait être réécrite par un renoncement, celui du pouvoir, pour éviter à tous un bain de sang ? –. Ainsi le théâtre fait et se joue du théâtre et en cela, il y a même de l’originalité dans ce que nous propose la compagnie chilienne La Re-sentida (« le ressentiment ») par rapport au théâtre sud-américain qui nous a habitués à être autant politique que narratif : ici on joue plus qu’on ne raconte. Le texte pouvait donc laisser augurer une belle mise en scène mais sur le plateau, le théâtre s’abîme plus qu’il ne se met en abyme et le fantasque des variations sur un même thème passe pour foutraque parce que tout se fait en force, sans nuance, sans légèreté et toujours tambour battant, dans un rythme égal et effréné qui nivelle toutes ces subtilités que convoque pourtant le texte. La compagnie ne se laisse et ne nous laisse que trop peu de répit pour nous embarquer.
C’est d’ailleurs lors des rares moments d’accalmie, qui correspondent parfois à un temps d’interaction avec le public, que l’on est saisi par les comédiens et que l’envie de fuir ce bruit et cette fureur nous quitte. Lorsqu’on nous présente Roberto, le public est proprement pris à partie et impliqué dans le sort de ce personnage, de façon à la fois très embarrassante – en particulier pour un spectateur ; si vous êtes en bout de rang, bon courage… – et salutaire. Lorsqu’une petite fille, faite d’un bois tendre, apparaît, la poésie du moment touche. Las, la tornade n’est jamais loin qui fait à nouveau irruption et balaie dommageablement ces beaux instants.
L’idée, on l’a pourtant bien comprise : montrer des personnages politiques grand-guignolesques loin des modèles à la Allende ou Che Guevara que l’on a quasi sanctifiés pour ne pas dire sanctuarisés. Par cette approche farcesque, on veut montrer ce qui est au plus près de ce que l’on perçoit volontiers comme une désastreuse réalité. D’accord, d’accord… Mais la dénonciation, pour être véritablement audible, peut aussi se faire dans un jeu plus fin, moins nerveux et survitaminé, à l’instar de celui de Rodolfo Pulgar qui incarne le président et dont la modération, même dans le cri, constitue une planche de salut dans ce déferlement quasi constant de hurlements.
Si la pièce avait pris le temps de se poser, y compris dans les moments de crise et de tension, elle eût certes été plus longue mais elle nous aurait paru plus courte et même trop courte.