© Cosimo Mirco Magliocca
Gérard Desarthe nous propose une mise en scène un brin désuète mais assurément raffinée et dont le charme tient au fait que la scène nous renvoie, par le choix des costumes et accessoires, à la Belle Époque, réactivant ainsi une madeleine de Proust, une certaine nostalgie pour une période joyeuse et insouciante, bien loin de la crise qui va pourtant l’interrompre brutalement et que l’on sent poindre ici à travers une révolte sociale, celle des femmes, voire celle des populations les moins élevées représentées ici par les gardiens (Christian Blanc et Jacques Connort).
La scénographie nous séduit sans doute aussi par sa grande proximité avec les œuvres impressionnistes qui nous sont devenues si familières et dont semble s’être largement inspiré le metteur en scène. Les décors comme les costumes, tous très beaux, ne sont pas sans rappeler la société qui a servi de modèle aux peintres de la veine impressionniste… les arbres empreints de visages reprennent quant à eux l’esthétique pointilliste : les coups de pinceaux offrent, selon la position du spectateur face au tableau, des paysages changeants. On regarde ainsi la scène et on pense aux peintures de Seurat (Un dimanche après-midi à l’île de la Grande Jatte), à celles de Monet qui a souvent couché sur ses toiles des plaisanciers ou vacanciers ou encore à celles de Manet pour la délicatesse du trait et la manière dont il représente hommes et femmes en particulier. La pièce de Gorki vue par Desarthe est d’ailleurs à la croisée du Déjeuner sur l’herbe de Monet, pour la forme, et du plus audacieux Déjeuner sur l’herbe de Manet, pour le fond, avec des femmes qui, assumant pleinement ce qu’elles sont, scandalisent. Van Gogh enfin et ses nuits étoilées (cf. Terrasse du café le soir et bien d’autres toiles) ne sont guère loin non plus quand l’action se passe nuitamment.
C’est l’une des forces de cette mise en scène que de pouvoir rendre également toutes les contradictions qui nourrissent ce que l’on appelle communément « l’âme russe » ou « l’âme slave » à travers notre histoire et nos repères français (samovar excepté). Beaucoup de finesse et de douceur se dégagent de la scène et dans le même temps, la critique des petits-bourgeois et le cynisme font rage dans les répliques et caractères des personnages. Sans crises aiguës ni éclats tonitruants, les tensions sont rendues palpables ; on voit ainsi des hommes perdus, doutant de leur virilité et de leur autorité, perdant pied face à des femmes qui s’affirment dans l’adultère, la vertu ou la parole ou, plutôt et plus simplement, qui affirment leur identité propre, leur individualité.
Tout cela n’aurait pas été possible sans la distribution pertinente choisie qui sait tirer avantage des forces et spécificités des voix et jeu de chaque acteur : tout le monde trouve sa place et sait se faire entendre – dans tous les sens du terme – pour cette pièce hautement chorale. On notera plus particulièrement les prestations remarquables des seniors : Bruno Raffaelli (Doublepoint) pour les hommes et Martine Chevallier (Olga Alexéevna) pour les femmes.
Le premier tableau est à ce titre particulièrement réussi qui parvient à nous lancer sur de bons rails avec des comédiens qui campent tous très bien les personnages et ne nous perdent pas malgré leur nombre et les diverses intrigues qui se nouent. On regrettera cependant un manège peut-être un peu trop rodé, dont la chorégraphie est si bien huilée que l’artifice perce malgré le naturel des acteurs. Las, tout – ou presque – se gâte dans le tableau nocturne qui suit, qui ne présente pas de choc esthétique aussi fort que le précédent et où la lenteur, bienvenue dans l’exposition de la pièce, se ressent plus vivement et désagréablement. Le rythme ne trouvera véritablement un nouveau souffle qu’à la tombée finale de la nuit mais le tout ronronne bien trop si bien que la révolution qui se joue dans les dernières répliques passe presque inaperçue.
Si l’on ne ressort pas tout à fait enthousiaste de la salle Richelieu, c’est sans doute que la torpeur y fut trop forte mais il est évident que la satisfaction d’avoir vu ces Estivants n’en est pas moins réelle et forte, sans doute parce que la troupe du Français a répondu en partie à nos attentes en sachant faire du Français, en sachant être elle-même : une troupe, une vraie, classique et classieuse pour le seul service du texte.
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