© Simon Gosselin
La mise en scène que nous propose Julien Gosselin ne tient pas toutes ses promesses. Adapter un roman, c’est déjà une gageure – quel parti pris esthétique ? quelles coupes ? quel séquençage du texte initial ? que mettre au premier plan ? au second plan ? en gros plan ? – Adapter un roman aussi sulfureux en est une autre, c’est forcément « vendre » du souffre, pense-t-on ; c’est nécessairement bousculer le spectateur qui, on le sait, en a vu d’autres depuis quelques années. Or, si le dispositif scénique promet effectivement un spectacle total – en entrant dans la salle, on nous distribue des bouchons pour nos oreilles et, sur scène, nous attendent des instruments, du matériel vidéo et, émergeant de la pénombre, des comédiens aux silhouettes drolatiques et/ou familières –, très rapidement, ce dispositif semble sous-exploité et déçoit, dans la première partie en particulier.
Dans cette partie, tout ce qui a pu piquer notre curiosité retombe parce que le roman nous semble lu et non joué. Le spectateur n’est en effet invité qu’à tourner plus ou moins rapidement les pages du récit de Houellebecq au lieu de vivre des scènes du théâtre de Gosselin. Si l’on excepte le récit-cadre journalistique, le changement plus anecdotique de couleur de cheveux du personnage d’Annabelle et la réécriture d’un cours de yoga, l’adaptation est ici d’une fidélité excessive. La trahison élémentaire – la trahison générique – n’a pas lieu… Face à nous, point d’œuvre nouvelle, ce qui dénonce une absence cruelle – et c’est là le plus problématique –, celle d’un point de vue, celle d’un parti pris fort. Le travail du metteur en scène est avant tout d’offrir sa lecture personnelle d’une œuvre ; ici, Julien Gosselin ne fait que répéter voire appauvrir le propos du romancier en atténuant, en outre, son caractère subversif : le racisme des personnages, leur frustration sexuelle, leurs névroses diverses et variées ne sont pas tus mais n’éclatent pas non plus. Toute cette première partie manque d’autant plus de corps que l’expressivité fait défaut dans le jeu des comédiens, tout étant dit sur le même ton, sans grande modulation – on ne sait d’ailleurs quoi faire des bouchons distribués à l’entrée. Il y a bien de l’humour mais disséminé et ponctuel – il atteint d’ailleurs son acmé avec le cours de yoga quand la scène se libère du roman –, il ne donne pas une réelle tonalité à cette adaptation.
La deuxième partie est en revanche nettement réussie qui favorise une montée en tension rare dans les deuxièmes parties souvent déceptives car moins alertes. Enfin on quitte le récit pour le discours, le monocorde pour l’expressif, l’anecdote pour la poésie. Les comédiens comme sortis d’un carcan, la musique davantage présente mais plus en sourdine, la vidéo, la lumière, les effets de brume, tout concourt à nous faire vivre une expérience, une expérience magnifique. La photographie est belle, sublime même. Reste qu’il manque toujours un vrai point de vue du metteur en scène, sa patte nous échappe encore. Les quelques « trahisons » finales (un enterrement plutôt qu’une incinération, une femme plutôt qu’un homme…) sont manifestement commises pour des raisons pratiques et non esthétiques et, partant, ne se réduisent qu’à des trucs.
On a passé de bons et beaux moments, nous ne pouvons le nier, mais on sort tout de même frustré des Ateliers Berthier.