©Patrick Berger
Avec Macbeth (The Notes), Dan Jemmett et David Ayala se lancent un défi qui peut sembler à bien des égards fou. Dans cette pièce où David Ayala, seul sur scène, joue pendant plus d’une heure et demie un metteur en scène qui, à quelques jours de la première, fait le point avec ses équipes technique et artistique, les écueils possibles sont en effet nombreux (longueurs, ennui, absence d’identification, verbiage didactique et techniciste) ; s’ils ne sont pas tous évités, le pari n’en est pas moins réussi tant le défi est relevé avec énergie, talent et finesse.
Les mises en abyme qu’impose le spectacle (un metteur en scène, Dan Jemmett, qui met en scène un metteur en scène ; un comédien, David Ayala, incarnant un metteur en scène, à ses heures comédien, qui recadre des comédiens) sont en effet, sur le papier, aussi savoureuses que périlleuses. D’un côté, le regard qui est posé sur le théâtre ne peut qu’apparaître plein de justesse et prendre la force d’un témoignage plaisant, jusque dans les caricatures produites, souvent empreintes d’autodérision ; de l’autre, on pourrait craindre que la pièce ne laisse malgré tout le spectateur à la porte en s’enfermant dans la private joke jargonnante d’un entre-soi pédant et pompeux via des problématiques, inquiétudes et aspirations quelque peu corporatistes et par trop particulières. Dans les faits, tout le sel et l’agrément de la pièce, qui résident pour beaucoup dans cette entrée dans les coulisses, interdite habituellement aux spectateurs, restent saufs. Le public est en effet intégré au spectacle par plusieurs biais. Il figure tout d’abord les membres de la troupe ; une connivence est ainsi vite créée quand les bons et mauvais points sont distribués à certains spectateurs censés être pour les uns des comédiens, pour les autres des techniciens, pour d’autres encore, des figurants. Les images convoquées par le metteur en scène pour diriger le jeu des comédiens et expliquer sa vision de Macbeth, de Shakespeare, du théâtre, de la création théâtrale… sont par ailleurs à mises à la portée de tous, qui sont empruntées à tout un éventail culturel, de Copeau à Bip Bip et le Coyote en passant par Blade Runner, la musique classique, la pensée bouddhiste… La proximité avec le comédien – pas d’estrade ni d’esbroufe aux Bouffes du Nord – facilite aussi l’identification au personnage, d’autant que l’artiste joué est porté par sa passion, jusque dans ses travers, obsessions et défis personnels. On arrive ainsi, en tant que spectateur, à être des deux côtés à la fois. Par le prisme de l’humour, prépondérant dans la pièce et de l’humanité, surtout, qui se dégage de tous les personnages, présent et absents, on plaint le comédien sermonné aussi bien que le technicien fustigé ou le metteur en scène incompris voire impuissant.
Ce spectacle met ainsi bien en exergue le travail d’horloger sinon d’orfèvre de tous les acteurs d’une représentation qu’un grain de sable peut venir déranger ou, au contraire, comme par miracle, transcender ; les affres des uns, les motivations des autres, cette quête néanmoins commune de perfection et de sens à travers un mot, un geste, un rythme à trouver sont d’autant plus rendus sensibles que le spectacle veut davantage montrer un cheminement qu’un aboutissement. On ne peut dès lors que parler de performance en ce qui concerne David Ayala qui porte sur ses seules épaules tous ces acteurs de la pièce à jouer, Macbeth, et de celle de la pièce jouée (Dan Jemmett, Serge Oddos à la régie, Alice François à l’habillage). Il emporte l’adhésion du public par la générosité, la justesse et le naturel de son jeu à la forte puissance évocatrice (avec lui, la distance du doigt à la lune qu’il faut parcourir, le tunnel du coyote qu’il faut traverser, le retour de Macbeth auprès des « siens » sont rendus tangibles). On regrettera cependant qu’il ne soit pas toujours bien audible – la diction pâtit dans ce corps et cette pensée toujours en mouvement – et que, malgré son allant, la pièce n’en reste pas moins longue. Si l’on sait en jouer d’ailleurs (l’heure qui tourne est indiquée avec beaucoup de malice dans le spectacle), on ne la fait pas oublier.
La pièce va pourtant bon train et ménage, dans cette parole du metteur en scène aux comédiens et techniciens, des ruptures salutaires, celles consacrées au texte de Shakespeare tel que le metteur en scène rêve sans doute de le voir jouer. Ces moments, pleins de gravité et de solennité, grâce notamment à une voix plus timbrée et à une lumière resserrée sur le locuteur, permettent de reprendre souffle avant de nous replonger dans le tourbillon des injonctions, conseils, démonstrations, compliments et reproches dispensés. Ils servent d’autant plus le rythme de la pièce qu’ils n’interviennent pas de façon systématique ou mécanique : ils surprennent aussi bien par leur apparition – voire irruption – que par leur disparition soudaines. Ce qui fait la longueur de la pièce n’est donc pas l’ennui ou le rythme mais, étrangement, la densité de ces différents textes entrecroisés, celui du metteur en scène et celui de l’auteur de Macbeth (traduit ici par Jean-Michel Déprats), une densité du texte si forte qu’elle finit en trop plein et nous laisse, par moments, au bord de l’indigestion. On ne saurait cependant faire le reproche de cette sensation de saturation à Dan Jemmett dans la mesure où cette sensation témoigne aussi de la richesse et de la profondeur du théâtre et démontre que ce dernier, quel que soit le côté de la scène où l’on se trouve, n’est pas seulement un lieu de divertissement mais aussi un espace de travail et d’éveil.
Macbeth (The Notes) est ainsi, par ses nombreux atouts et rares faiblesses, une belle leçon de théâtre.