Tout est très beau, pour ne pas dire magnifique : la scène, sa rondeur et ses étages subtils, la lumière et ses pointes de couleur, entre noirs et blancs, le maquillage qui fait des acteurs des Pierrots lunaires solaires, la carriole, son pittoresque et les âges traversés qu’elle porte. Le cinéma n’est pas bien loin. Chaque plan mériterait sa photographie.
Tout est très bien joué aussi et les personnages bien campés, sans caricature, avec beaucoup d’humanité. Quelle malice dans les yeux et le sourire de Carmen-Maja Antoni, quelle énergie elle donne à cette Mère Courage ! Manfred Karge et Martin Seifert tirent également très bien leur épingle du jeu ; ils font vraiment plaisir à voir.
Les comédiens ne sont pas seuls à jouer, il y a les musiciens et leurs instruments : violon, accordéon, saxophone, clarinette, piano, guitare se mêlent intensément à la ronde des personnages – l’histoire, on le comprend vite, n’est qu’un éternel recommencement.
Mais c’est peut-être dans cette ronde des personnages que la scénographie pêche un peu. Mimant une certaine forme d’immobilisme et de vanité des efforts, Claus Peymann, le metteur en scène, ne ménage que peu de surprises pour l’œil et le l’oreille.
Le clair-obscur choisi sublime d’un coup d’un seul les personnages, les actions, les dialogues mais, constant d’un plan à l’autre, les uniformise et leur fait perdre leur relief dans le temps, y compris quand celui-ci change, qu’on soit sous la pluie de l’automne ou la neige hivernale.
La fosse est discrète et c’est tout à son avantage mais tout de même, on aurait aimé qu’elle accompagne moins, qu’elle prenne parfois le lead et soit plus tranchante, qu’elle nous tombe dessus comme le fait, à deux reprises sur scène, un certain accessoire.
Quelques bémols donc mais ne boudons pas notre plaisir ! La pièce est réussie ne serait-ce que parce qu’elle parvient, fait rare, à éviter l’écueil de cette deuxième partie lente et plombante que nous réservent bien souvent les pièces, au retour de l’entracte, après une première partie enjouée et alerte. Comment ? Sans doute grâce au rythme de croisière qu’elle trouve avec des saynètes plus longues qui nous permettent davantage de nous installer et d’apprécier le jeu et la beauté des tableaux qui se succèdent.
Spectacle joué au Théâtre de la Ville du 17 au 26 septembre 2014.