© Brigitte Enguerand
N’y aurait-il pas tromperie sur la marchandise ? En lieu et place de neuf petites filles, neuf robots, neuf soldats, neuf machines. Rien d’humain n’affleure malgré l’aspect enfantin des costumes, rideaux et autres éléments de décor, malgré les couleurs pastels et rose bonbon qui illuminent la scène ; rien d’humain malgré la sensibilité du texte qui exhibe des fêlures d’autant plus touchantes qu’elles sont celles d’enfants. La pièce ne rend pas hommage à la vie qui déborde, se cabosse ou s’arrête brusquement au fil des histoires inventées et réinventées par les personnages ; elle ne rend pas non plus hommage au monde de l’enfance, à sa folie douce, à son insouciance même envolée, à sa joie de vivre et de réenchanter. Stanislas Nordey semble prendre ici le parti de Freud qui voyait en l’enfant un « pervers polymorphe », on peut aussi voir en lui un être humain plus fragile que les autres.
La scénographie, très belle mais qui relève tout de même du déjà vu – les clips de « Comic Strip », des « Sucettes », les installations des Carpentier pour la télévision ou les défilés des robes Mondrian de Saint-Laurent sont à peine revisités –, transforme les personnages en rats de laboratoire. On a l’impression d’être au cœur d’un programme scientifique avec cet univers plus aseptisé qu’acidulé, avec cette présence trop importante de textes tapés sur ordinateur et de voix synthétiques. Rien ne déraille, tout est balisé alors même que le propos est censé être improvisé, construit de façon spontanée. Nordey va jusqu’à ajouter un prologue pour que le spectateur ne se laisse pas surprendre par les jeux de rôles auxquels se livrent les personnages ; il va jusqu’à ajouter un épilogue pour s’assurer que le spectateur ait compris le principe et les ressorts de la pièce. Aucune place n’est vraiment laissée à l’imagination et au plaisir, même malin, de cette imagination, de cette récréation ou recréation que les fillettes s’accordent au milieu de leurs malheurs et complexes. Pour mieux se représenter ce plaisir du jeu et du mal, il n’y a qu’à se replonger dans ce passage du Molière d’Ariane Mnouchkine où, dans un grenier, le jeune Jean-Baptiste Poquelin, joue à faire semblant avec d’autres jeunes gens et se prend au jeu. Dans un tout autre genre, on peut aussi (re)lire Alice au pays des merveilles et interroger l’une de ses phrases les plus emblématiques : « Qu’on lui coupe la tête ! ». Or la dimension ludique, présente dans le texte de Sandrine Roche, n’est qu’à l’état de traces dans la mise en scène qui nous est ici proposée.
Le système que met en place Stanislas Nordey nuit jusqu’à la progression de la pièce. À la lecture, les histoires créées finissent par entrer en cohérence, en résonance, se faisant écho, s’enchevêtrant parfois pour n’en faire qu’une, elles tournent toutes mal mais restent singulières, chacune exposant une histoire particulière. Sur la scène, ce qui se passe lasse parce que les histoires rentrent dans une noirceur mécanique qui ne laisse aucune respiration et nivelle tout. S’il y a bien neuf actrices, elles sont plus ou moins interchangeables hélas, et le fait qu’une même comédienne joue parfois plusieurs personnages renforce ce sentiment d’uniformisation.
Heureusement, la pièce est courte.