© Nicolas Barrot
This is how you will disappear est un spectacle ovni, surtout pour les non initiés au travail de Gisèle Vienne. Il bouscule nos représentations génériques à l’instar d’un Castelluci qui fait danser des machines dans son Sacre du Printemps. Concert son et lumière ? Spectacle de danse ? Installation performance ou « simplement » pièce de théâtre ? Difficile de trancher même lorsque la parole surgit, poétique, qui ne nous ramène pas tout à fait sur les rives bien connues de l’art dramatique.
Si cette absence de repères nous déstabilise dans nos perceptions et dans notre jugement critique, si la forme nous échappe, le fond moins, et l’on ne doute pas que dans ce cadre sylvestre propre à susciter de fortes émotions – de l’angoisse liée au danger de mort que la forêt peut représenter à l’émerveillement béat devant la vie et la beauté qui l’habitent et la rendent fascinante –, un mythe se construit sous nous yeux. Le titre du spectacle sonnait déjà effectivement comme une prédiction divine et les références évidentes aux faits divers journalistiques contemporains relatant des meurtres et agressions sauvages font écho aux satyres et nymphes des récits antiques. L’étrangeté des tableaux proposés par Gisèle Vienne achève de donner une dimension mythologique au propos de la pièce.
La forêt est en effet aussi réaliste par la matière vivante – végétale, humaine ou animale – qui la compose et la traverse qu’irréelle par la lumière qui l’inonde et la transforme, par la brume qui l’envahit et la recompose ou encore par ces images plus ou moins d’Épinal qui la hantent et construisent notre imaginaire, notre représentation et nos fantasmes à son sujet. Si l’on ajoute à cela la brume qui, s’échappant du plateau, incorpore le spectateur dans la scène et le bain sonore dans lequel il est plongé, complètement immergé dans les déraillements et fausses notes contrôlés d’une musique tonitruante et souvent oppressante, on peut même penser être dans un cinéma où la 3D serait authentique, un cinéma tel qu’en propose David Lynch, labyrinthique, elliptique, étrange mais passionnant du fait de cette impression – terme à prendre en son sens premier – qu’il fait, de cette expérience qu’il fait vivre. C’est un spectacle éminemment plastique, où la perspective esthétique prime manifestement sur le narratif et de ce point de vue le pari est tenu.
Magnifiques visuellement, ces tableaux qu’offre This is how you will disappear posent néanmoins question ; ils semblent de fait davantage mouvants que vivants en raison d’un rythme qui ne se trouve pas et s’enlise mais aussi d’acteurs qui, parlant, brisent à des moments inopportuns et de façon étonnante pour des comédiens la magie, l’ambiance et l’histoire que parvenaient à raconter jusque là l’image et la musique. On en vient effectivement à se dire qu’il eût mieux valu que cette forêt de Gisèle Vienne ne soit pas habitée par cette parole humaine qu’échangent les personnages masculins, l’entraîneur (Jonathan Capdevielle) et la rock-star (Jonathan Schatz) ; mal jouée et incarnée, elle fausse tout. On ne croit pas du tout à ce qui se dit et fait entre les deux hommes. Or ce moment de lutte entre eux et en en eux qui devait être un point d’orgue dans la « pièce » déçoit et il déçoit d’autant plus que tout, depuis le début, annonçait un drame et que celui-ci ne se produit pas avec l’intensité espérée.
On en revient à ce rythme problématique. Tout est trop tôt donné – dès les cinq premières minutes, la mort, le sentiment d’une crise à venir et la beauté de la forêt atteignent une forme de paroxysme -, ce qui crée une attente bien trop forte pour être comblée d’une part mais empêche d’autre part, et c’est là l’ennui majeur, de profiter pleinement de l’instant présent que l’on trouve bien souvent excessivement lent et peu prompt à se rendre à l’instant critique. Quelque chose lasse et agace fortement dans cette dramaturgie où l’on se projette sans cesse dans un avenir déceptif. Il n’y a guère qu’à la fin du spectacle, qui correspond à un temps d’accalmie, où le présent se laisse apprécier. L’image est donc ainsi souvent prenante mais de trop courts moments seulement.
Malgré toutes les qualités plastiques qui le rendent à intervalles réguliers saisissant, This is how you will disappear ne parvient pas à nous tenir continûment en haleine soixante-quinze minutes et à nous intéresser autant qu’à nous surprendre. L’expérience reste toutefois à vivre car elle a le mérite d’être singulière et de nous pousser à une réflexion critique inédite.