Avec Les Glaciers grondants, David Lescot aborde le changement climatique, dont il veut nous donner les tenants et aboutissants à travers une déambulation drôlatique dans les sciences et les arts. Las, le mariage entre ces deux pôles ne se fait pas dans une grande harmonie ni même une cohabitation de bon sens. Rien d’assez drôle, pertinent ou poétique, en effet, dans ces « articles de presse » âpres et ardus, passés en revue à toute vitesse et à peine tempérés par la musique, la danse, l’acrobatie ou le théâtre. La déambulation se fait, de fait, à marche forcée sinon forcenée et à coup de déambulateur.
L’entrée dans la pièce et son intrigue préfigure d’emblée ce que sera la marche et la progression dans ces Glaciers grondants : heurtées, laborieuses et pénibles. En effet, dès les premiers instants et mots prononcés, éclate un premier problème, celui de la distribution : le protagoniste, un écrivain amené à écrire un article décalé sur la COP 21, est joué de façon bonhomme par Éric Caruso – qui donne son nom au personnage – ; il est mollasson aussi bien dans la voix que dans l’allure et le geste quand les autres acteurs, qu’on croit tout droit sortis du théâtre de boulevard, sont dans l’ensemble survoltés ; le surjeu de ces derniers s’explique sans doute par les divers rôles qu’ils doivent assumer et dessiner rapidement d’un trait et d’un changement de costume mais concourt à un déséquilibre dommageable quand les comédiens devraient être à l’unisson. La rupture de ton eût cependant pu être savoureuse, montrant combien l’écrivain semble perdu face à l’article qu’il doit écrire sur un sujet qu’il ne maîtrise pas et à sa vie à reconstruire, mais Éric Caruso – aussi bien le personnage que l’acteur – est tout de même un fil conducteur bien trop lâche pour porter la pièce à bout de bras et relier tout ce disparate.
Au-delà de cette erreur de casting, la mise en scène pèche par l’aspect bien trop mécanique de l’alternance, sans grande transition le plus souvent, des entretiens scientifiques et des scènes conjugales – qu’elles proviennent de la vie du personnage principal ou des répétitions du Conte d’hiver de Shakespeare. Cette mécanique est en outre amplifiée par le décompte des mois et des jours avant la fameuse COP 2, un temps qui s’égrène de façon trop marquée et pas assez marquante pour dire, à la manière d’un compte à rebours ou d’une clepsydre au fort Boyard, l’urgence des enjeux de la conférence. Le rythme finit ainsi par être plan-plan, à l’instar du protagoniste, et les Glaciers plus gonflants ronflants que grondants… S’il y a de beaux moments tout de même, rien de bien enthousiasmant non plus qui impressionne durablement la rétine et nous sort de la routine. Théo Touvet fait sensation dans sa maîtrise du cerceau avec lequel il danse et fait corps de façon captivante ; DeLaVallet Bidiefono, en pape, nous amuse par son prêche chanté et « endiablé » ; les réfrigérateurs surmontés d’un ours polaire détonnent comme certains mouvements de danse chorégraphiés par DeLaVallet Bidiefono… certes… mais les danseurs comme les musiciens, n’ont pas la place suffisante ou le brio et la grâce qu’il faut pour totalement nous transporter ou nous éblouir et les acteurs promettaient finalement davantage dans le préambule de la pièce où leurs contorsions et poses de yogi captaient notre attention quand elles ne faisaient pas simplement notre admiration. On pensait alors qu’ils s’échauffaient – sans mauvais jeu de mots – pour une course de fond extraordinaire. Or, il n’en est rien et l’ensemble laisse surtout un goût de bricolé et d’amateurisme, ce qui soulève un dernier problème : le texte.
Le sujet est assez pointu, le personnage principal s’en plaint assez pour qu’on le reconnaisse mais rien ne le rend bien simple ici, pas même schématique. Les thèses scientifiques sur le climat sont présentées de façon trop partielle, confuse et dense pour qu’on n’y entende quelque chose et que notre conscience écologique s’éveille par conviction. Les questions de béotien du protagoniste posées aux Jean Jouzel et autres éminents spécialistes du climat ajoutent d’ailleurs à l’incompréhension au lieu d’en enlever. En comparaison, la généalogie des Lancaster et York au cœur du conflit de la guerre des Deux-Roses dans le Henry VI shakespearien est bien plus facile à suivre (la mise en scène de Thomas Jolly, qui n’est pas sans défaut, rendait cette guerre de succession limpide par exemple). On décroche ainsi rapidement et l’on ne s’étonne plus que l’on n’y mette pas plus le nez dans la vie si le théâtre n’est pas à même de rendre ce sujet simple et parlant. Le véritable problème n’est pourtant pas que l’on y comprenne pas grand-chose au climat en sortant du spectacle mais plutôt qu’on n’en garde presque rien. Si l’on a pu critiquer Jules Verne pour l’insertion, dans ses pages de roman, d’articles encyclopédiques entiers pour décrire la faune et la flore rencontrées par ses personnages, il n’en reste pas moins l’essentiel : l’aventure, le souffle, l’histoire, l’émerveillement, la poésie comme cela a pu être le cas au théâtre avec Ex vivo / In vitro de Jean-François Peyret et Alain Prochiantz, un spectacle dont la mise en scène de Peyret, il y a quelques années à La Colline, éclairait superbement par sa folie toute poétique, la question épineuse de la procréation assistée. Ce que l’on regrette particulièrement dans ces Glaciers grondants, c’est l’approche biaisée qui est faite du changement climatique, cette question n’est pas prise à bras le corps : on ne la rend pas poétique ni théâtrale sinon peut-être par capillarité grâce au divertissement opéré par les intermèdes musicaux, shakespeariens, sentimentaux…
Bref, David Lescot veut tout dire mais ne dit rien.