Henry VI

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Une question s’impose à l’issue des dix-huit heures passées aux ateliers Berthier pour voir la mise en scène de Henry VI proposée par Thomas Jolly : en parlerait-on autant si la pièce ne durait autant de temps ? Dans ce spectacle qui marque une parenté assez nette avec le travail d’Olivier Py ou de Jean-Michel Rabeux (pour les clins d’yeux à un théâtre ancien fait de tréteaux et de masques blancs), avec celui d’Ariane Mnouchkine (pour le jeu des décors qui parfois se montent et se démontent à vue dans une belle dynamique de troupe) mais aussi et surtout, et c’est là, principalement, que le bât blesse, avec celui de Jean-Paul Goude (pour le spectacle son et lumière offert et plus largement le fantasque) – à moins que le goût du metteur en scène pour la musique grandiloquente et les effets visuels pléthoriques ne provienne de la comédie musicale ou du cinéma, celui d’un Peter Jackson (Le Seigneur des anneaux) ou plus récemment d’un Xavier Dolan (Mommy) –, dans ce spectacle, donc, du méritoire pour la performance, de beaux et bons moments, tout de même, mais rien d’exceptionnel si ce n’est justement  ce spectacle total fourre-tout que permet et rend sans doute digeste la durée du spectacle. De fait, il manque ce supplément d’âme qui nous fait entrer en empathie avec les personnages et leur situation. L’émotion ne s’impose pas à nous mais nous est imposée par cette volonté trop visible de nous épater à tout prix et à chaque seconde.

Thomas Jolly farcit un peu trop la pièce en effet, au point de faire oublier la saveur du mets essentiel : le texte de Shakespeare. Il est ainsi particulièrement dommage que le sublime y soit aussi évanescent, parasité constamment par le grotesque, le loufoque et un humour plus ou moins fin (cf. l’évocation du P.S.G.) mais toujours recherché (au sens propre). Davantage d’épure eût été bienvenu. Le metteur en scène semble avoir craint d’ennuyer le public en le confrontant franchement et sur la durée à la tragédie et à ses aspects les plus pathétiques et effroyables. On ne peut que reconnaître que ce que met en scène Jolly est divertissant mais l’adjectif n’est pas à prendre ici que dans son acception positive. Si les moments de réel ennui sont rarissimes – la troupe est généreuse, entière, énergique, le plaisir du jeu chez les comédiens et celui de vivre et faire vivre une aventure sont plus que palpables, les acteurs jouent tous très bien –, on n’en est pas moins détourné de ce qui fait la grandeur des personnages et de ce qui fonde la tragédie même si celle-ci accepte en son sein le mélange des genres. On peut ainsi oublier Shakespeare et se laisser emporter par cette troupe de joyeux drilles de La Piccola Familia mais on peut aussi être fortement dépité de devoir occulter l’œuvre pour apprécier le spectacle.

Car que retient-on finalement de ces dix-huit heures passées au théâtre ?

L’intrigue. Elle est parfaitement rendue lisible par les comédiens, les costumes, la scénographie. Cette clarté et cette cohérence ne sont évidemment pas une mince affaire tant les personnages qui habitent la pièce sont nombreux, des personnages dont les noms changent régulièrement au gré des batailles, des morts et des recompositions de l’échiquier politique…. et nous n’évoquons pas même le fait que les comédiens assument en outre, pour des raisons évidentes, différents rôles. Les rubans rouges et blancs ainsi que le premier arbre généalogique de la famille royale d’Angleterre – le second est plus brouillon – constituent ainsi de bons repères visuels tout comme les carrures et silhouettes des comédiens, bien distinctes les unes des autres, facilitent la reconnaissance des personnages déjà bien individualisés par des costumes ou accessoires très repérables. On quitte ainsi la salle avec la furieuse envie de se plonger ou replonger dans l’histoire de la couronne anglaise et d’y confronter la fiction vue à la réalité vécue et transmise dans les livres d’Histoire.

Le spectaculaire. L’esprit « son et lumière » du spectacle y est pour beaucoup, il est d’ailleurs si présent qu’on a parfois l’impression de n’être plus au théâtre mais à un concert ; inégal, il capte malgré tout notre attention et même positivement comme dans l’épisode de la guerre des deux roses qui se mène sur fond de brume rouge et d’ombre chinoise. D’autres tableaux, d’emblée saisissants mais faisant l’objet d’une utilisation trop fréquente ou trop longue, s’essoufflent (cf. les batailles au ruban dans une brume baignée d’une lumière épileptique ou la « guillotine » qui telle une pièce de monnaie montre dans son envers une scène et dans son endroit une autre) ; la récup’ a ses limites. Il y a également, et trop souvent, des effets perçus immédiatement comme faciles (l’ombre de Talbot qui grandit au fur à mesure que ses arguments portent dans la joute verbale qui l’oppose à une comtesse française, l’ombre de celle-ci rapetissant dans le même temps au fil de sa défaite.)

L’ambiance générale. L’humeur est bon enfant, rieuse et chaleureuse. Sur scène d’abord, où l’humour est omniprésent même si, rappelons-le, il n’est pas toujours du meilleur goût ni toujours très opportun. Il pose question par rapport au tragique, nous l’avons dit et y reviendrons (encore) mais celui dont la rhapsode (très belle trouvaille au demeurant) fait preuve est à saluer ; on pensera par exemple à la fameuse scène de ménage. Hors du spectacle ensuite, où l’humeur est tout aussi bonne : on échange avec nos voisins, on croise parfois des comédiens ; il y a comme une bulle qui se crée entre personnes qui partagent un moment particulier à défaut de toujours partager le même avis sur ce qui a été vu.

On retient ainsi de ce temps passé à Berthier l’effet « grand spectacle populaire » et sans doute que ce théâtre-là crée des vocations chez ceux et celles qui n’ont pas l’habitude d’aller au théâtre ou se le représentent nécessairement désuet… et il est vrai que l’on vit une expérience unique pour laquelle nous ne sommes pas de simples spectateurs puisque nous avons également à prouver en relevant un défi, celui de tenir le siège, d’une certaine manière, pour obtenir le fameux badge qui l’atteste. Mais le sublime du texte… son émotion…. restent trop souvent aux abonnés absents. On peut comprendre ce parti pris de faire jouer la comédie du pouvoir, on entend moins qu’il occulte la grandeur de ce pouvoir et ses aspects « purement » tragiques et pitoyables ?

Si les scènes de procession et de couronnement sont de toute beauté et d’une solennité saisissante, si quelques morts touchent même si elles sont longuettement amenées et trop vite évacuées par le tomber de rideau (cf. la mort de Talbot ou le bûcher de Jeanne d’Arc), ces moments de gravité sont rares, et rarement épargnés par une quelconque pitrerie. Par ailleurs, d’autres scènes, moins protocolaires, méritaient davantage de gravité mais voilà, plane toujours cet esprit farceur du metteur en scène. L’humour, s’il n’est présent, est toujours ambiant ; on s’attend incessamment à le voir surgir dans les moments les plus inappropriés puisqu’on l’a régulièrement vu s’immiscer, d’une façon ou d’une autre et de manière plus ou moins appuyée, dans des scènes qui ne l’imposaient pas (cf. le trèfle sur le chapeau de Richard Plantagenêt à son retour d’Irlande, les perruques bleues à l’effigie de la Pucelle).

« Vit-on jamais un roi jouir d’un trône terrestre et goûter moins de bonheur que moi ? »

C’est par cette citation du personnage éponyme que Thomas Jolly s’est essayé à résumer, en moins de cent quarante signes, Henry VI et ce n’est pourtant pas cette tragédie du pouvoir qui ressort de sa mise en scène. Jamais d’ailleurs on ne pleure, même quand l’innocence meurt, même quand la rhapsode, proprement plébiscitée par le public, ne peut plus annoncer l’entracte – pire, des rires fusent lorsque Richard III la supplée, moqueur, en l’imitant.

Le théâtre de Jolly se veut total, faisant référence aussi bien à l’Antiquité avec cette « rhapsode » qu’au théâtre moderne avec toute la technologie dont il dispose en passant par le théâtre de rue avec les fameux tréteaux et ce rôle de la rhapsode, mi-M. Loyal, mi-bateleur. Mais qui trop embrasse, mal étreint. Malgré les qualités indéniables des acteurs et une scénographie aussi folle qu’au cordeau, pour du Shakespeare, le souffle reste un peu court. Le spectacle manque de cette simplicité qui crée une intensité véritable et non diffuse. On privilégie trop clairement l’effet à l’émotion.

Bref, on ne vibre pas assez dans ce théâtre-là.

Spectacle joué à l’Odéon – Théâtre de l’Europe du 2 au 17 mai 2015. Pour la dernière date de la tournée, c’est ici !

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