4 – Rodrigo García

4_Rodrigo_Garcia_4_sanslegende

Avec 4, Rodrigo García sort le spectateur de sa zone de confort sans tomber pour autant dans la provocation gratuite et facile. Les comédiens transforment en terrain de jeux la scène et manifestement s’amusent comme des gamins à montrer par le plus beau des médiums, l’art, ce qui, au quotidien, ne révolte plus notre regard d’adulte – la violence, le consumérisme, la vulgarité, l’innocence bafouée… – et ce qui, au quotidien, importe mais est perdu de vue : le plaisir de vivre, dans la fraternité et la conscience des autres.

L’ensemble du spectacle ne déroule pas le fil linéaire d’une histoire, d’une intrigue, ni même celui d’un thème assez précis pour être identifiable et identifié. Gonzalo Cunill, Núria Lloansi, Juan Loriente et Juan Navarro vont d’une séquence à l’autre sans autre logique que celle qui nous fait passer de « trois petits chats » à « chapeau de paille ». Les tableaux alternent ainsi poussant jusqu’au bout le malaise ou la contemplation parfois malsaine du spectateur et ce, jusqu’à épuisement ou lassitude, semble-t-il, des comédiens qui multiplient sur scène les expérimentations. On comprend mieux dès lors ces éléments de décor hétéroclites : un savon de Marseille géant, une chaise longue Le Corbusier, une plante verte, des platines, des sacs de couchage, une dépouille de loup, une caméra… Autant d’éléments que les comédiens vont investir, détourner, transformer, utiliser pour se divertir, penser, dénoncer, se panser. Ces jeux d’enfants nous laissent souvent interdits parce qu’ils transgressent avec plaisir et sans scrupules des codes et des valeurs bien ancrés : on se lance des noms d’oiseaux ; on met des baskets à des coqs, que l’on utilise comme doudous pour s’endormir ou comme médiators pour jouer de la guitare électrique ; on se déguise en loup ; on s’arrose et l’on se vautre dans le savon comme le ferait volontiers un môme dans la boue ou les flaques un jour de pluie ; on se déguise, on se met à nu, on parle, on se bat et se débat ; on improvise, on danse, on regarde des dessins animés, on joue au tennis… Ce sont des jeux d’enfants qui, manifestant une certaine violence, un sadisme certain, une dimension sexuelle de mauvais aloi, ne sont pas innocents cependant ; ceux qui y jouent ont passé l’âge comme on dit et les deux fillettes qui, par moments, y participent ne l’ont pas encore. Tout n’est pas du meilleur goût par ailleurs mais pas toujours du plus mauvais effet toutefois. Ainsi, L’origine du monde frappée en son cœur, les récits de vie sensibles centrés sur le plaisir charnel ou son absence, les considérations sur l’art, jusqu’au dessin animé « Charlie le coq » sont ici de toute beauté pour dire notre condition humaine, dans ses désirs de satisfaction souvent égoïste et autocentrée et dans ses élans plus généraux de vie et de mort vécus ici comme des pulsions.

Tout est finalement dans le titre, ce chiffre qui est celui du nombre des comédiens professionnels qui évoluent sur scène. Comme le fait Tao Ye au sein de sa compagnie TAO Dance Theater avec les spectacles 6 et 7 pour ne citer que ceux qui viennent d’être proposés au Théâtre de la Ville il y a peu, ce chiffre dit la capacité de produire, à la fois ensemble et dans la singularité, du jeu et de la vie, cette aptitude à dire le monde comme il va et ne va pas. À cet égard, la première séquence est forte et très parlante, montrant la nécessité de l’union et de la solidarité à travers cette toile d’araignée bien fragile qui unit les acteurs et que ces derniers tentent de préserver en prenant soin des faits et gestes de chacun. Une fois la toile déchirée, la guerre survient à laquelle succède, tout aussi nécessaire, la concorde autour du micro et partant, du langage.

Si les départs sont nombreux au fil du spectacle et les applaudissements, timides à son issue, la pièce de Rodrigo García n’en est pas moins un succès en ce qu’elle offre, de façon exigeante et riche, un condensé de vie, dans ce qu’elle a de plus terrible et de plus exaltant. Son audace peut aussi laisser admiratif ; 4 refuse effectivement au spectateur l’immédiateté d’un beau et simple divertissement, préférant prendre le risque de le heurter en le confrontant à ce miroir à peine déformant de la réalité qui est promené au bord de la rampe.

Le spectacle se joue du 12 au 22 novembre 2015 aux Amandiers de Nanterre.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>