© 2105 CIE. DU KAÏROS : DAVID LESCOT
Cette pièce de David Lescot est éminemment sympathique pour les adultes et sans doute bien plus pour eux que pour les enfants à qui elle est supposée s’adresser. Évoquant l’entrée en sixième, elle fonctionne en effet, pour les plus grands, comme une madeleine de Proust leur rappelant des peurs heureusement passées, peurs qui peuvent faire sourire ici grâce, notamment, à la justesse dans l’expression de la candeur des trois actrices sur scène. Pour les plus jeunes, pas sûr en revanche que le spectacle les aide à dédramatiser, exorciser ou apprivoiser leurs angoisses.
Sur le fond, l’on dresse effectivement un tableau bien noir de cette école où la loi du plus fort est toujours la meilleure : racket, intimidation, délation, humiliation en règle de tout individu perçu, pour des vêtements, une réaction ou un propos inadéquats, comme plus faible, tout cela est présenté comme la norme. Le plus terrible reste pourtant que la question des cours et de l’apprentissage passe délibérément au second plan, bien loin derrière celle de la socialisation au sein du collège de cette jungle scolaire. Or, rien (ni la tirade finale quelque peu abrupte et pirouettante, ni le dialogue entre le futur collégien et sa petite sœur entrant en maternelle qui permet de réaliser que le passage à une autre école, quelle qu’elle soit, est toujours redouté mais pas insurmontable, ni la réaction confiante de la cadette, ni le registre comique enfin) ne parvient à contrebalancer complètement toutes les inquiétudes bien légitimes que cette image donnée de l’école provoque. Ceux qui ne connaissent pas le système ou n’ont ni les moyens, ni le réseau pour le contourner, pourraient bien penser, à l’issue de la pièce, envoyer nécessairement leurs enfants à l’abattoir – c’est une façon de parler, bien entendu… On pourrait surtout craindre qu’à l’idée d’entrer en sixième, certains enfants s’imaginant trop jeunes, frêles, riches ou pauvres – barrez la ou les mention(s) inutile(s) – pour n’être pas chahutés sinon agressés ne rentrent chez eux en faisant du titre de la pièce un terrible crédo. J’ai trop peur met ainsi en exergue des problématiques et des problèmes scolaires intéressants mais en reste au constat plus ou moins fantasmé et caricatural et justifie, d’une certaine manière, au lieu de les questionner, les politiques d’évitement des écoles zep-rep-éclair-machin-chose de certains parents. Bref, la pièce manque peut-être d’optimisme sinon d’angélisme pour un spectacle inscrit dans un parcours « enfance et jeunesse ».
Sur la forme, la scénographie est simple, efficace, qui convoque de façon très ingénieuse l’imaginaire avec une bande son faite maison et quelques rares accessoires qui agrémentent une scène nue mais riche des fameux et inusables tréteaux qui la composent et se recomposent au fil des tableaux. Les comédiennes (Suzanne Aubert, Lyn Thibault et Marion Verstraeten) parviennent à rentrer dans la peau d’enfants de deux ans et demi à quatorze ans en jouant sur le langage et les clichés vestimentaires de belle façon. Elles sont merveilleuses d’expressivité ; visage, phrasé, voix sont très bien travaillés, si bien que les tournures un peu trop sophistiquées pour être celles de pré-adolescents passent pour naturelles et réalistes. La proximité avec le public ne permet pas, de toute façon, de tricher avec lui et elle est superbement gérée par la générosité et l’énergie des actrices qui rendent vivants scène, dialogues et monologues. Tout est remarquable de ce point de vue.
J’ai trop peur est une pièce divertissante qu’on aurait souhaitée plus profonde. Sa légèreté, de belle facture, n’en est pas moins appréciable pour autant.