© Didier Grappe
Il semblait que Maguy Marin allait toujours vers plus d’abstraction, rendant compte du mouvement dans une discontinuité nouvelle, le mouvement n’étant plus intéressant pour lui-même mais par sa répétition et sa variation, légère, qui conduisent de façon insensible à une progression et une vision très particulière du monde. On pense au magistral Salves, spectacle dans lequel les pas et la technique des danseurs semblaient rudimentaires mais où leur répétition dans un cycle infernal leur donnait de l’ampleur et modernisait de façon révolutionnaire le ballet et la danse. Maguy Marin allait avec Faces jusqu’à réserver le mouvement des danseurs au hors-champ de l’obscurité, à ne le rendre sensible qu’en creux : le spectateur était invité à découvrir après un noir des danseurs figés dans une nouvelle posture, un tableau vivant mais créant un point de rupture avec la danse. Au moins cela était-il audacieux et ne laissait pas indifférent. Dans ce contexte, BiT sonne comme un coup d’arrêt retentissant à la novation de Maguy Marin. Certes, on retrouve la discontinuité avec toujours cette présence de noirs où le mouvement perdure et l’on retrouve aussi la répétition qui fait le ballet avec cette entrée volontaire et dynamique des danseurs dans une ronde incroyable mais on quitte en effet l’abstraction et c’est bien dommage.
Plus d’invitation à l’imagination, plus de suggestion, ni d’autre implicite que les quelques secondes ou minutes où les comédiens ne sont plus à vue ou en vue. Il ne manque plus que la parole pour être au théâtre, et encore est-elle présente dans la bande-son, et encore ce théâtre est-il celui de la facilité, flattant nos plus bas instincts. Sur scène, impression de soleil couchant, de voir revisitée une fest noz. Les pas sont éminemment techniques, il y a des terrains glissants qui les rendent même virtuoses – en témoigne une réception hasardeuse de Kaïs Chouibi – mais tout ceci transpire la trivialité. On reste ainsi bien sur terre avec tantôt la perversité sexuelle, tantôt la débauche coïtale montrées longuement et crûment sans que cette crudité ne soit ni sublimée, ni transcendée par quoi que ce soit au point qu’elle ennuie plus qu’elle ne gêne. On n’ose penser à la bande annonce du sulfureux Welcome to New York mais on ne peut s’en empêcher… du fait de la musique techno contemporaine de Charlie Aubry qui submerge la scène, ne laissant ni place au rêve – la musique est ici bien convenue en comparaison de celles de Denis Mariotte, étranges, atonales, comme parfois jouées sans instruments à l’instar de la musique d’Umwelt –, ni place à la danse qu’elle noie dans une « rave-de-marée ». On ne reviendra pas même sur la satire religieuse, là aussi, très convenue, si serinée et « café du commerce » qu’elle lasse au moment même où elle pointe le bout de… son nez sur scène.
Le final est toutefois très beau avec cet envol et ce vertige qui manquaient jusque-là dans cette sarabande grotesque.