© Elisabeth Carrechio
À ce projet personne ne s’opposait revisite le mythe de Prométhée pour interroger le monde moderne et son « humanité » : les hommes étant ce qu’ils sont, le don qui leur a été fait et le supplice qu’il a entraîné en valaient-ils la chandelle ? La question sert de fil conducteur à la pièce qui présente, à la manière d’un diptyque, deux volets distincts : l’un consacré à Prométhée et au passé mythologique, l’autre au « prometteur » avenir. La mise en scène d’Alexis Armengol – co-auteur avec Marc Blanchet d’À ce projet… – fourmille de belles et grandes idées pour rendre la réponse à cette question sans appel et sonner la révolte mais pèche par son aspect trop scolaire où le jeu nous jette sans assez de finesse et nuance ses intentions à la tête.
La pièce s’ouvre sur une scénographie aussi sombre que saisissante. Prométhée, seul à s’opposer à la volonté des dieux de laisser l’homme à l’état animal en ne lui donnant pas le feu, est sommé de rendre des comptes et le bienfondé de son action est regardé de haut. La noirceur ambiante n’est ainsi peut-être pas tant celle propre à désigner le bourreau que le débiteur du généreux et divin donateur. Tout est parlant dans cette première partie et peut-être trop. Si la photographie est, sans conteste, toujours belle, la parole, quant à elle, déçoit dans son ensemble, et particulièrement quand elle est chantée, qui va justement bien souvent et maladroitement plus vite que la musique et nous cantonne dans le superficiel. Sa grandiloquence fait effectivement écran à une émotion et à une compréhension plus profondes. Le metteur en scène a fait manifestement le choix délibéré de l’énergie, du vif et du tohu-bohu mais cela apparaît contre-productif. De fait, on ne quitte pas l’impression que cette fougue dans le mouvement, la diction et le débit nous divertit dans tous les sens du verbe ; faisant feu de tout bois, elle nous détourne de l’essentiel en ne laissant pas à l’émotion esquissée le temps et le silence nécessaires pour s’installer durablement, celle par exemple que l’on devrait et voudrait ressentir très fort face à un être torturé physiquement et moralement. C’est pourquoi l’on apprécie ces passages où le rythme se fait moins effréné, où les personnages se posent, où tout est simplement dit et aussi intelligible que sensible comme cette naissance, magnifique, de Pandore ou cette rencontre entre Prométhée et Io dont la détresse lucide est désarmante – rien de faramineux ni de dramatisé pourtant dans les mots qu’ils s’échangent. Ces moments-là ont ceci de réussi qu’ils nous font oublier la mise en scène et toute sa machinerie didactique pour nous intéresser aux personnages et à leur histoire, fût-elle fiction ; on oublie ainsi qu’on veut nous faire passer un message et ce dernier se délivre naturellement. Ces moments-là sont cependant trop rares et vont l’être davantage encore dans la seconde partie.
Le deuxième volet du diptyque nous projette dans un avenir où une poignée d’hommes et de femmes se donnent pour mission de rendre l’homme meilleur en diffusant, par le biais d’une radio pirate, des messages et pensées emplis de bons sentiments. Et c’est là que le bât blesse. Tout n’est que bons sentiments ici, jusque dans le choix de la couleur dominante, un vert que l’on pourrait qualifier de « greenpeace-and-love ». C’est, un temps, mignon tout plein et l’on trouve rafraîchissants sinon naïfs ces discours portés par et pour l’amour du prochain – ce qui dit assez notre propre foi en l’homme – mais l’action patine et ne décolle pas même lorsque les mauvais démons ressurgissent au milieu de ces prêcheurs de la bonne parole d’un autre genre. Si l’espace scénique, à tiroirs et à surprises, est toujours aussi ingénieux que dans la partie précédente, la photographie est moins intéressante et le chemin tracé n’est toujours pas celui de l’émotion malgré un rythme moins soutenu, un verbe moins tapageur et vorace et des personnages, certes caricaturaux, mais plus humains. On s’enlise effectivement très vite dans le sirupeux de ce chemin trop tendre, trop vert, trop peu mature.
À ce projet personne ne s’opposait reste un beau spectacle parce que les acteurs y sont généreux et que la forme, surtout, y est remarquable même si elle pâtit du fond, de ce message à délivrer qui se fait trop écrasant et qui laisse trop peu de place au mystère sur lequel la pièce s’ouvrait pourtant de façon plaisante avec une entrée en scène surprenante des comédiens. Les intentions sont là, bonnes, mais sans paver l’enfer, tracent une voie qui semble, au bout du compte, sans grande aspérité et bien trop convenue.