Ça ira (1) Fin de Louis

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© Elisabeth Carrechio

Avec Ça ira, Joël Pommerat se renouvelle et surprend (enfin !) mais sans convaincre tout à fait, loin de là ! car, dans cette pièce, ça crie plus que ça ne va de l’avant et s’il est bien question de révolution, c’est que, de fait, d’un entracte à l’autre, on tourne en rond.

Le début du spectacle, d’une belle théâtralité, est pourtant prometteur. D’emblée, s’instaure autour du roi (Yvain Juillard) une solennité impressionnante avec cet espace scénique, immense, pénétré par la pénombre, et celui non moins vaste du public dans lequel sont disséminés des comédiens – les Forces Vives – pour faire la claque et transformer les spectateurs en acteurs qui représentent dès lors le peuple acclamant le roi à Versailles ou l’Assemblée nationale à Paris ou encore la capitale assiégée. Plus de quatrième mur donc ! Sur scène, les comédiens, tournés vers le public, semblent s’adresser à lui et certains spectateurs se prennent d’ailleurs au jeu, applaudissant et huant à l’unisson des Forces Vives postées auprès d’eux. On pense alors que la Révolution de Pommerat n’est pas uniquement historique mais a trait aussi au propre style du metteur en scène et dramaturge : le noir est ici moins profond qu’à l’accoutumée, les variations de lumière plus subtiles et le cadre moins intimiste du fait de cette interaction et de cette circulation inédites entre scène et salle. Le texte est par ailleurs fécond et puissant, loin du laconisme et des ellipses auquel l’auteur avait pu nous habituer. Par les inégalités qu’il dénonce et son actualité terrifiante, il nous parle et nous heurte de plein fouet ! Il est porté en outre par une belle énergie – on distinguera à ce sujet Saadia Bentaïeb, tout simplement remarquable – et n’est pas dépourvu d’humour, un humour assez fin et noir, dans la démonstration des petitesses de chacun pour conserver des privilèges ou en acquérir aussi bien que dans cette réplique finale du roi qui éclaire le titre de la pièce d’un jour nouveau. Joël Pommerat parvient ainsi, en bon meneur d’hommes et de femmes, à dérouler le fil de l’Histoire dans une langue et une chorégraphie claires et limpides et sans verser dans le manichéisme : on ne peut qu’être par-delà le bien et le mal quand chacun, tour à tour, est jugé « coupable ou misérable ». Mais la Révolution s’enraye assez vite dans une ritournelle qui n’est pas seulement et principalement due à cette forte probabilité que la notion de progrès ne soit que toute relative et que, d’un point de vue politique et humain, nous n’ayons jamais fait, en France, qu’un tour sur nous-mêmes depuis 1789.

L’impression de rengaine est surtout liée, effectivement, à la succession quasi infernale des discours égosillés dans les conseils et assemblées divers qui se tiennent. Ces joutes verbales lassent, exaspèrent même, quand elles n’irritent simplement pas nos tympans, parce qu’elles s’organisent selon un même plan, sur un même rythme et dans un même cri sans grande nuance, au point que la voix rauque du chanteur Arno que la reine (Anne Rotger) écoute paraît douce à nos oreilles — au passage, la chanson « Quelqu’un a touché ma femme » est magnifique. Dès lors, quelque chose de trop mécanique et routinier s’installe qui nous rend imperméables à ce qui s’écrie et que les jolis clins d’yeux à l’actualité ou plus largement à notre époque – une chemise déchirée, les vrais airs de Nadine Morano d’une conseillère jouée par Ruth Olaizola, l’arrivée du roi sur la musique de Rocky, « Eye of the tiger »… – ne peuvent dégripper et réveiller. On est certes, avec ces diatribes politiques, très proche de la réalité et même en-dessous sans doute des spectacles que les politiciens nous offrent très régulièrement sur les bancs de l’Assemblée mais est-ce bien là le rôle du théâtre d’être dans le documentaire ? La construction de la fiction et son esthétique ne doivent-elles pas prendre le pas sur la réalité qu’elles ont à sublimer et non à imiter ? Plus d’invention dans ce travail de restitution reconstitution historique eût été apprécié, à l’image de ce qui se fait et se dit dans ces scènes où l’on entre dans l’intimité du roi que l’on voit discuter avec sa sœur Élisabeth (Agnès Berthon) et sa femme, pas si légère et écervelée ici que la postérité le laisse entendre. Or ces scènes sont dommageablement noyées dans le tohu-bohu et la gesticulation outrancière des interventions d’ordre politique. Avec elles, on quittait pourtant le connu et le balisé pour l’inconnu et le plaisant de la petite histoire à l’ombre de la grande, fût-elle pure fiction.

En raison du nombre important de comédiens mobilisés, du nombre plus considérable encore de personnages et de sa durée évidemment – quatre heures bien sonnées –, Ça ira est indéniablement une performance. Cela est d’autant plus vrai que les acteurs sont bons, généreux et dirigés de main de maître – même si ce choix de les faire crier est discutable – et que jouant chacun plusieurs rôles, ils ne perdent jamais le spectateur dans cette galerie pléthorique de personnages qu’ils incarnent. On ne peut donc que regretter que tout ce travail n’aboutisse pas à élever la pièce au rang incontestable de chef-d’œuvre tant la durée du spectacle, qui relève un beau défi, ne se relève pas des longueurs et langueur dont elle est malheureusement synonyme ici.

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© Elisabeth Carrechio
Le spectacle se joue au théâtre Nanterre-Amandiers du 4 au 29 novembre 2015. Pour les dates de la tournée, c’est ici !

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