Belle et énergique prestation d’Olivier Saladin qui, tel un caméléon, se fond dans les différents personnages qui peuplent cette épopée (in?)hospitalière de Daniel Pennac. Une posture, une intonation, une démarche, une expression du visage… inutile de changer de costume ici pour changer de corps. Cela est d’autant plus remarquable que l’acteur ne se contente pas d’un « monologue gesticulatoire » – c’est ainsi que Pennac nomme sa nouvelle – mais donne vie à des dialogues entre deux, trois, quatre interlocuteurs et plus, tout cela en rendant tout à fait lisibles et compréhensibles lesdits dialogues et leur contexte.
Jamais l’acteur ne nous perd dans cette galerie de personnages alors qu’il nous la fait traverser à vive allure, tambour battant, aussi bien physiquement que verbalement. Peu de pauses en effet dans les tribulations du jeune médecin que Gérard Galvan (Olivier Saladin) – le jeune médecin devenu « vieux » – rappelle d’entre ses souvenirs à l’occasion de l’anniversaire d’un événement ayant marqué sa carrière. On se demande bien où Saladin prend le temps de respirer entre ses flots de parole et ses courses échevelées. Sans se départir de son expressivité et des nuances imposées par le texte, il mouille la chemise, comme on dit, mais qu’au sens figuré semble-t-il tant son aisance est patente et le souffle jamais court. Cette générosité fait plaisir à voir et est d’autant plus communicative que le comique se mêle joyeusement à l’épique.
Comique de situation, de geste, de caractère, de mots, tout y passe et donne le ton de la pièce. Si l’humour puise souvent dans le scatologique et le morbide, Olivier Saladin en reste au poétique : la prose de Pennac surprend souvent qui dépeint la maladie dans toute sa violence avec des images et métaphores délicates, délicatesse que Saladin manifeste aussi. L’écriture de Pennac comme le jeu du comédien s’en tiennent cependant trop souvent aux bons sentiments ; une dose plus grande d’acidité et de noirceur n’aurait sans doute pas fait de mal – paradoxalement –. On sourit en effet plus qu’on ne rit franchement devant ce spectacle divertissant mais en manque de mordant.
La scénographie de Benjamin Guillard est, quant à elle, très ingénieuse et aussi simple qu’efficace : une table, quelques chaises, des praticables roulants (dont un très surprenant – n’en disons pas plus) suffisent à tout dire et à tout faire sans jamais donner l’impression de trucs et astuces à bon marché, faits de bric et de broc. Alors que la scène est nue ou presque, on est embarqué par l’élan de l’acteur et avec lui, on déambule à travers couloirs, salles d’attente et chambres de cet hôpital où tout s’est joué pour le jeune Galvan. On touche ici à la magie du théâtre à laquelle certains metteurs en scène ne rendent pas suffisamment hommage, celle qui n’a d’autre besoin que l’imagination pour faire naître le réel.
Olivier Saladin est sur scène un médecin qui met de bonne humeur, ce qui n’est pas rien, et c’est pourquoi Ancien malade des hôpitaux de Paris est un spectacle « sympathique » dans tous les sens du terme, fussent-ils contradictoires : on souffre avec bien des personnages, on compatit, mais le plaisir est bien là et le tout est tout de même bien agréable.