Battlefield

Battlefield

©Pascal Victor / Artcomart

Battelfield est une réussite. Peter Brook parvient une fois encore à nous surprendre par une mise en scène et une scénographie essentielles.

« Rien de trop » semble être le mort d’ordre dans ce spectacle. Rien de trop, en effet, dans ces quelques éléments de décor disséminés sur scène ; rien de trop dans les accessoires permettant aux comédiens de changer sous nos yeux, de rôle ; rien de trop, non plus, dans le jeu pour nous faire entrer dans l’épopée indienne du Mahabharata. Le strict minimum et la magie opère, celle de la force évocatoire d’un texte quand celui-ci prend toute sa place grâce à l’expressivité et l’intensité puissantes des comédiens, Carole Karemera, Jared MacNeill, Ery Nzaramba et Sean O’Callaghan.

Les acteurs portent en effet le texte avec une solennité qui le rend tangible, captivant voire fascinant quand ils prennent des airs de Pythies qui disent l’état du monde, conseillent avec sagesse ou prophétisent. Dans le même temps, cette majesté dans la parole ne les empêche en rien de passer, en un instant, de la haute stature royale à l’humilité d’un ver de terre, d’un serpent ou d’une mangouste tant ils maîtrisent la fonction performative du langage, les ruptures de ton et l’humour. Les mots pèsent avec eux tout leur poids sans que le récit prenne pour autant le pas sur le théâtre, un théâtre qui ne manque pas ici comme on a pu le regretter pour le travail, tout aussi « minimaliste » que celui de Brook, qu’ont proposé Daria Deflorian et Antonio Tagliarini à la Colline (cf. Ce ne andiamo… et Reality).

La force du texte, qui réside déjà dans ses mots simples et ses questions existentielles et intemporelles pleines de gravité mais non dépourvues de la légèreté nécessaire pour qu’elles soient entendues, se trouve ici démultipliée par la scénographie de Peter Brook et de Marie-Hélène Estienne. Cette scénographie restitue en effet magnifiquement les dimensions divine et orale du Mahabharata en faisant référence à l’Afrique d’une part, grâce notamment à la musique produite in situ et de façon magistrale par le djembefola Toshi Tsuchitori, et à la Grèce antique d’autre part par le « récit » mythologique produit – on pense d’ailleurs ici aux pièces d’Eschyle adaptées et mises en scène par Olivier Py : Les Sept contre Thèbes, Les Suppliantes et Les Perses. Il n’est donc pas seulement question de l’Inde mais de l’homme à travers cette croisée des cultures.

Le théâtre se fait ainsi cérémonie, rituel, lieu d’initiation et si les comédiens applaudissent à la fin les spectateurs, c’est sans doute que le silence et l’écoute manifestés par ces derniers sont primordiaux dans cette « communion ». La dimension spirituelle de la pièce ainsi que sa simplicité d’ailleurs trouvent évidemment le plus beau des écrins dans ce Théâtre des Bouffes du Nord dont le dénuement et le délabrement sont aussi notoires que délicieux et semblent porter toute une histoire à révéler.

Battlefield, contrairement à ce que son titre laisse imaginer, est ainsi, par bien des aspects, un spectacle enthousiasmant. Par son chant de batailles intérieures, il est aussi un terrain de jeu superbe qui nous livre une belle leçon de théâtre.

Le spectacle se joue au Théâtre des Bouffes du Nord du 15 septembre au 17 octobre 2015.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>