Le roi Lear

roilear-christopheraynauddelage-800x496px-web-800x380© Christophe Raynaud de Lage

Comme d’habitude, la patte d’Olivier Py est là et bien là… dans la traduction moderne et percutante du texte de Shakespeare, dans la réécriture du théâtre de tréteaux – loge et coulisses comprises –, dans les néons, le piano, le nu masculin… il manque cependant ce qui fait rarement défaut chez lui : des lignes de force claires et la puissance lyrique, dans la folie et dans le tournoiement de ses personnages, qui emporte et remporte tout sur son passage, à commencer par l’adhésion du spectateur.

La majeure partie de la pièce et, en particulier, celle consacrée au reniement successif des filles de Lear, est brouillonne, parasitée constamment par des mouvements insensés et des bruissements continus qui ne permettent pas toujours à la parole d’être bien audible. Alors, certes, la folie, cette machine infernale qui va conduire nos protagonistes à leur perte, est palpable dans ce bruit et cette fureur mais cette absence de lisibilité première s’achève bien vite en perte de crédibilité quant à la lecture qui est faite du Roi Lear, d’autant que l’on peut être décontenancé par certains aménagements opérés sur le texte, aménagements qui veulent mieux rendre, assurément, l’esprit de la pièce mais qui le font aux dépens de la lettre. Ainsi, pour n’en donner que l’exemple le plus frappant, Cordélia reste-t-elle muette face à la demande de panégyrique de son père et sa parole se trouve-t-elle assumée par Le Fou. On comprend bien ici la volonté de s’en tenir à la pensée première de Cordélia (« What shall Cordelia speak ? Love and be silent » – « Que va dire Cordélia ? Aime et tais-toi »), dite en aparté dans la pièce, mais n’est-ce pas là tordre sinon trahir le texte que substituer à sa parole celle d’un fou ?

L’absence de lignes directrices se lit ailleurs et de façon plus tangible encore. Si nous avons bien le bas et le sublime qui caractérisent le théâtre shakespearien, nous ne les avons pas dans les degrés souhaités, ceux qui permettraient de les distinguer tout à fait et de les mettre aux antipodes, au point qu’ils se confondent parfois dans quelque chose de « dramatique » et de « pathétique », deux termes à prendre trop souvent ici dans leur acception moderne et familière.

Le bas est bien bas et grossier même, nous apportant parfois une lecture intéressante de certains personnages à l’instar de Cornouailles qui représente sans doute le vil avec le plus de pertinence et de cohérence, figurant un nouveau Caligula comme le révèle la scène où, dévorant goulûment un poulet, il crève les yeux de Gloucester. Le grotesque provoque cependant plus souvent la consternation que l’horreur ou le rire franc avec des tableaux qui peuvent mettre mal à l’aise voire choquer (cf. Goneril aux toilettes, revisitant une scène « culte » du film de David Cronenberg, Map to the stars, ou Tom et Lear arpentant nus sinon en slip la scène). Les personnages, sur scène, s’enfoncent dans la boue, aux sens propre et figuré, et la mort elle-même finit par tomber dans le grotesque. Il est dès lors difficile pour le sublime, contaminé par le risible ou le ridicule de certaines situations, de s’extirper complètement de cette fange et  de s’élever.  Ainsi, la déréliction d’un Lear en plein délire ne suscite pas la compassion attendue. La grâce d’une Cordélia en danseuse de ballet, toute de délicatesse et de légèreté en tutu blanc et sur ses pointes, touche mais ne suffit pas à nous émouvoir de façon profonde. Sans doute aussi que le piano ne se fait pas suffisamment et plaisamment entendre et que le rythme quelque peu effréné de la pièce ne favorise pas une proximité des spectateurs avec les personnages, qu’elle se manifeste par l’identification ou le rejet. Les tirades les plus pathétiques ou les plus noires semblent en effet comme expédiées, quand elles ne subissent pas quelques coupes… L’énergie et la bonne volonté des comédiens ne suffisent pas non plus.

Nâzim Boudjenah – de la Comédie-Française – est bon mais n’a pas la noirceur consciente et cynique du personnage qu’il incarne, Edmond, et se ferait presque supplanter dans ce rôle par Moustafa Benaïbout (Cornouailles). Philippe Girard (Lear), Matthieu Dessertine (Edgar), Jean-Damien Barbin (Le Fou), Eddie Chignara (Kent), Amira Casar (Goneril) et Céline Chéenne (Régane) font le job comme on dit mais brillent bien moins que dans d’autres mises en scène de Py où l’on a pu les voir cf. Les enfants de Saturne ou Orlando ou l’Impatience. Jean-Marie Winling est un Goucester très humain et sensible par ailleurs, comme l’est Laura Ruiz Tamayo qui joue Cordélia. Cette distribution est splendide sur le papier mais sans grand brio dans les faits : les acteurs semblent tous quelque peu noyés dans l’immensité de la scène et les intrigues du texte ; ils souffrent surtout d’une absence, de la part du metteur en scène, d’une vision forte portée par un fil conducteur fort.

Bref, ce Lear sans grande tenue ni grand lyrisme que nous propose Olivier Py n’est pas un désastre mais apparaît bien dispensable.

Le spectacle se joue au Théâtre des Gémeaux du 1er au 18 octobre 2015. Pour les dates de la tournée, c’est ici.

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