La mise en scène d’Anne Kessler est soporifique au plus haut degré et nous anesthésie par la double inconsistance proposée.
La première inconsistance ? nous faire assister à la répétition de la pièce au lieu de la pièce elle-même ou, du moins, vouloir nous le faire croire car, dans les faits, s’il n’avait pas été écrit sur des écrans que se jouait la répétition des premières scènes de La Double Inconstance ou le filage des suivantes, on ne l’aurait sans doute réellement deviné qu’à la toute fin du spectacle, et encore !
En effet, rien ne laisse transparaître, à l’exception des écrans sus-cités, le comédien derrière le personnage ou encore le travail en cours. Étonnamment, toutes les scènes sont jouées, et dans l’ordre ; il n’y a pas de coupures, ni d’intermèdes entre elles qui exhibent les coulisses, des coulisses qui ne sont d’ailleurs jamais véritablement montrées, y compris dans la « scène » de la baignoire et malgré ces décors qui se construisent devant nous, ce qui se fait couramment dans les « vraies » représentations en outre. On ne verra pas de metteur en scène corriger, intervenir, même silencieusement, mais il est vrai qu’il n’y a pas non plus de « raté », ni d’état d’âme de comédien à reprendre. Les costumes ne sont pas tout à fait finis, paraît-il… Ah ? cela ne saute pas aux yeux… Vraiment, Anne Kessler aurait gagné à monter Le jour de l’italienne de la compagnie Eulalie ou à simplement s’en inspirer si elle voulait donner à la fois dans le work in progress et dans le Marivaux.
Bref, l’intérêt d’un tel parti pris, qui est écrit et non joué, échappe complètement et paraît totalement vain, sauf à considérer que la metteure en scène ne savait comment rendre l’esprit, le piquant, le sel du texte et que c’était là une manière d’en appeler à notre bienveillance – ne soyez pas durs, nous prévient-on, ce n’est pas une représentation que vous voyez mais son filage ; ce n’est pas même une générale, insiste-t-on, mais une simple répétition –. Si seulement, n’étant pas rendu sensible, ce choix de la répétition avait été sans conséquence. Ce n’est cependant pas tout à fait le cas parce qu’il conduit à un défaut de cohérence et même à une perte de sens tout en rendant, de fait, légitime le jeu un peu éteint et blanc des comédiens sans que ce jeu ne soit assumé, ni qu’il soit la marque d’une interprétation pertinente de la pièce… et nous touchons ici à la seconde inconsistance : les décors et tout le tralala qui les soutient.
Anne Kessler n’ayant pas su quoi faire de ce texte de Marivaux, semble avoir même travaillé à l’éviter, le laissant se dire comme il peut au gré des performances des comédiens ; elle se contente de fait de faire diversion par le choix d’une prétendue répétition et par les décors. Ces derniers, très beaux bien qu’un brin désuets, se déploient sous nos yeux et contribuent à créer des univers divertissants, des univers d’autant plus attrayants qu’ils rappellent, non sans nostalgie tout de même, Les liaisons dangereuses de Stephen Frears avec, pour cette pièce, Florence Viala (Flaminia) en marquise de Merteuil et Adeline d’Hermy (Silvia) en présidente de Tourvel. On touche parfois, sous forme de clins d’yeux empreints de dérision, au cinéma romantico-hollywoodien avec des poses d’amants énamourés et des parties dansées à la très lointaine manière du couple que formaient Fred Astaire et Ginger Rogers. Mais à l’image du miroir et des divers filtres présents sur scène pour donner à cette dernière de la profondeur, tout cela ne fait que mettre au jour l’artificialité et la vanité même de la mise en scène parce que cette scénographie ne fait pas tant sens que gadget. On ne peut en effet qu’y voir une façon de nous détourner sympathiquement du texte récité assez platement et lentement – notons au passage que ce sont les femmes qui tirent ici le mieux leur épingle de ce jeu trop souvent insipide, et notamment la piquante Georgia Scalliet qui incarne Lisette.
L’affiche du spectacle suggérait déjà la primauté du secondaire et de l’anecdotique sur l’essentiel par la mise au premier plan d’un personnage sans nom et de second plan. Or, cela est éminemment confirmé à l’issue de la représentation. Le texte n’est manifestement pas la pierre angulaire sur laquelle a été bâtie la lecture scénique d’Anne Kessler ; au contraire, il est ici comme enseveli sous une tonne d’effets raffinés mais faciles et vains. Bien loin de l’éclairer, ce tralala le parasite et on se surprend à penser qu’une simple mise en voix eût été préférable à cette mise en scène.