Torobaka – Akram Khan et Israel Galván

© Jean-Louis Fernandez

Bien des aspects marquent positivement la rétine et l’ouïe dans ce spectacle mais ce dernier ne nous emporte pas aussi loin et aussi fort que nous l’aurions souhaité. On touche seulement du doigt quelque chose qui promettait de nous renverser et de nous bouleverser de beauté mais le tout reste bien pensé et bien appréciable.

On aime la grande et plurielle technicité du spectacle.

Celle des danseurs évidemment : mouvements rapides, des jambes et du corps tout entier, arrêtés dans une grande, subite et parfaite stabilité, maîtrise des écarts entre les deux hommes dans les vifs et dangereux rapprochements, de bras notamment ; ils sont, ensemble ou individuellement, dans un même souffle mais dans une danse et dans un style qui leur sont propres : le kathak et Akram Khan, plus virevoltant, exubérant et énergique, le flamenco et Israel Galván, plus grave et classieux dans l’économie de geste.

Celle des chanteurs et musiciens : David Azurza, B C Manjunath, Bobote et Christine Leboutte accompagnent, mènent ou devancent la danse et, par leurs instruments mais surtout leur chant, leurs paroles et l’étrangeté de leurs vocalises, nous transportent ailleurs, dans la campagne andalouse aux accents souvent corses, en Inde aussi avec cette mélodie toute tintinnabulante de la langue indienne.

Celle, enfin, des techniciens à proprement parler : les ingénieurs sons et lumières. La scénographie est superbe ; on passe d’un tableau à l’autre tout en délicatesse. Le jeu des noirs et des lumières blanche et rouge donne une intimité et une chaleur assez remarquables à cette grande scène du Théâtre de la Ville. On pourrait se croire, par moments, dans l’étroitesse et la convivialité d’un cabaret.

Toutes ces technicités se font à l’unisson du rythme, d’un rythme qui, en dehors des percussions instrumentales, s’exhibe par des décomptes endiablés – « un, dos, tres… » –, et des mains qui le frappent à intervalles réguliers.

On aime aussi les renversements.

Christine Leboutte déroute par sa voix grave et David Azurza par sa voix aiguë. Les danseurs jouent aussi avec les codes masculins et féminins ; le titre lui-même y invite : le taureau pour l’Espagne de Galván, la vache (vaca en espagnol) pour l’Inde de Khan. Galván bombe le torse mais sait également minauder du poignet, de la hanche et de la chemise, qu’il soulève comme il le ferait d’une jupe ou manierait l’éventail. Khan, quant à lui, suit le plus souvent dans la danse, accordant ses pas à ceux de Galván. Il renverse aussi les codes de la danse, jouant des claquettes avec les mains et la tête et des castagnettes avec les pieds.

Tout cela est très fort mais manque cependant de force.

Dans une scène en forme d’arène le combat tourne court. On voit un combat de coqs, montant sur leurs ergots, se défiant et se jaugeant, alors oui, l’autodérision s’impose mais point trop n’en faut non plus, surtout pour Galván, dans son premier solo notamment – Akram Khan est plus cohérent dans ses propositions –, cela nuit à l’intensité du face à face même si on y arrive peu à peu à la toute fin du spectacle. On aurait voulu plus de puissance et de gravité entre les deux ou une histoire commune plus forte, même empreinte d’humour et de jeu.

Oui, on aime cette technicité qui ne vire jamais à l’exercice de style virtuose et creux parce qu’elle ne se prend jamais au sérieux mais, parce qu’elle ne se prend pas toujours assez au sérieux, elle empêche véritablement d’être pris et embarqué par cette drôle de relation qui se noue entre deux mondes, entre Akram Khan et Israel Galván.

Oui, on aime les renversements qui témoignent d’un échange, d’une communication avec l’autre et de la volonté de le comprendre mais ils ne vont pas assez loin pour être un fil conducteur fort et nous émouvoir. Le spectacle souffre peut-être d’avoir voulu trop en dire d’où cette impression, quelques rares fois heureusement, de cacophonie entre les musiciens et les danseurs.

Plus que le spectacle, on aime l’idée de ce spectacle et le spectacle que cela aurait pu être, spectacle qu’on nous laisse heureusement bien apercevoir tout de même.

Le spectacle se joue au Théâtre de la Ville du 16 décembre 2014 au 5 janvier 2015.

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