© Axel Cœuret
La Ville vue par Rémy Barché est si glacée que ses habitants et elle nous laissent de marbre. Réfrigérer les décors, les personnages au point de transformer ces derniers en poupées de cire se comprend, cela annonce la chute… mais dans le même temps, cette démarche est si tenue de bout en bout qu’elle anticipe bien trop le dénouement et empêche toute véritable surprise. Quand le fin mot de l’histoire est donné, cela fait de toute façon bien longtemps qu’on ne l’attendait plus, non pas qu’on l’ait deviné, c’est plutôt qu’il nous était, entre temps, devenu indifférent de le connaître ; dévoilé, il ne suscite, d’ailleurs, pas plus d’émotion que d’intérêt.
Longtemps, le jeu proprement extraterrestre des comédiens nous a questionnés puis plus, plus du tout, même. Raide, articulé, lent, il a l’avantage cependant de bien faire sonner le texte et de saisir la manière assez subtile qu’a Martin Crimp de manifester la vanité du langage, le délitement d’une relation humaine, l’effondrement de soi face au dur regard que l’on se porte ou que les autres nous infligent. Ce texte n’avait toutefois pas besoin d’être autant pris au pied de la lettre. Pour dire le creux, il faut du plein. L’incarnation des comédiens ne suffit pas, ici, à donner la chair suffisante à la baudruche pour qu’elle fasse, au moins un temps, illusion avant de se dégonfler.
Ce qui déshumanise les personnages, ce n’est d’ailleurs pas tant la posture roide des acteurs que leur absence d’évolution et de progression dans le jeu. Il n’y a guère que le personnage de Christopher (Alexandre Pallu) qui par la force des choses, changeant de statut social à plusieurs reprises, change également sur scène. Les autres, reprenant le même rôle, le même ton, les mêmes inflexions de voix n’intéressent plus, passées les premières répliques, y compris la très inquiétante Jenny jouée par l’excellente Louise Dupuis. Le travail de cette comédienne, plus fin que celui de ses comparses, fait merveille au début et apporte en outre la seule vraie part d’humour au spectacle, part d’humour que, dans une large part, Rémy Barché dénie au texte de Crimp.
La mise en scène se devait donc d’être plus audacieuse en faisant suffisamment confiance au texte pour que le spectateur en perçoive le sens et l’étrangeté sans que le jeu des acteurs surligne ce sens et cette étrangeté. À ce jeu-là, on quitte le sensible et l’humain et l’on finit par être si distant à l’égard des personnages qu’ils ne nous préoccupent plus et que le quatrième mur se dresse entre nous comme une réalité.
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