Le Suicidé

DER SELBSTMÖRDER

© Lucie Jansch

Jean Bellorini met en scène de façon burlesque Le Suicidé de Nicolaï Erdman et cela a de quoi surprendre : cette pièce a certes des accents comiques bien marqués mais elle porte aussi et surtout – son titre est assez transparent à cet égard – un drame et une trame tragique qui sont trop peu apparents ici. Hors ce choix de registre, rien de bien surprenant en revanche dans cette mise en scène bien huilée mais peu inspirée. Heureusement, le talent des comédiens et musiciens du Berliner Ensemble parvient à nous divertir de cette tenace et fâcheuse impression de déjà-vu et revu.

Dès que l’on entre dans la salle, la scénographie et ses ressorts s’offrent à nous : des espaces (chambre, salle d’eau, entrées) se dessinent par un jeu de lumière et d’agencement savant ; des enchevêtrements d’escaliers semblent aussi prometteurs, tout comme ce trio de musiciens qui domine le plateau. Déjà on pense à d’autres mises en scène présentant le même type de dispositif et notamment à celle de Julien Gosselin dans son adaptation de 2666 de Roberto Bolaño. Nous n’attendons dès lors qu’une chose, de voir comment Bellorini s’empare de cela pour faire du Bellorini et c’est, las, la déconvenue qui nous gagne parce que l’on ne quitte pas la redite et l’effet facile et mécanique de trucs déjà usés dans diverses mises en scène (des masques blancs et de l’effet de troupe d’un Emmanuel Demarcy-Mota ou d’un Bob Wilson – n’oublions pas la couleur vive et le maquillage portés par certains comédiens – aux propres mises en scène de Jean Bellorini, celles de Tempête sous un crâne ou de La Bonne Âme du Se-Tchouan qui marquaient déjà des coups d’arrêt à son inspiration au regard de ses brillantes et enthousiasmantes Paroles gelées). Un cadre burlesque est posé et l’on en reste là… Les paroles et les actes se suivent et se ressemblent, s’enchaînant dans une suite un peu trop logique et terne pour dégager beaucoup de force et dans un rythme trop égal pour nous emballer tout à fait. La mise en scène ne réserve de fait que peu de surprises et paraît cousue de fil blanc.

Sans doute, l’affichage trop haut placé des surtitres pour qui se trouve dans les premiers rangs et n’est pas germanophone n’aide pas à rentrer dans la dynamique et l’univers de la pièce mais tout de même… La direction d’acteurs pêche, transformant les comédiens en personnages quelque peu hiératiques :  ils déclament le texte dans des poses et tons assez drolatiques mais trop figés sur la durée pour que la pièce ne finisse pas par ronronner et laisser froid. Même les changements de décors ne l’animent guère et déçoivent, qui sont pourtant à vue, mettent en branle toute une machinerie et s’accompagnent de sarabandes aussi joyeuses et déjantées que boiteuses. C’est qu’ils se font dans un mouvement qui ne saisit pas et/ou ne varie pas suffisamment. Aucune réelle montée en tension n’est par ailleurs ménagée et les personnages, très vite enfermés dans leur propre caricature, n’évoluent pas et font stagner l’action. La profondeur de la pièce d’Erdman, à peine mise en exergue et, partant, trop peu perceptible, manque – bien rares sont les moments qui inquiètent, interpellent, font pleurer ou grincer d’effroi – et le comique n’en sort pas pour autant renforcé non plus, parce que l’absurde et le grotesque ne sont pas poussés à leur plus haut degré mais restent cantonnés à leur plus simple et facile expression.

Restent toutefois de très belles images (le tableau initial habité par la belle-mère puis son gendre et sa fille, ou la neige, qui est toujours superbe à voir tomber, ou encore ce retour en arrière que constitue la projection du mariage de Sémione et de Marie), de touchants et superbes chants et d’excellents acteurs et musiciens surtout pour nous rendre ce spectacle divertissant et sympathique. Giorgios Tsivanoglou (Sémione), qui, dans le rôle-titre, porte littéralement et avec énergie la pièce, et Carmen-Maja Antoni (Sérafima), qui nous avait déjà charmés en Mère Courage dans la pièce éponyme de Brecht, il y a quelques années au Théâtre de la Ville, ont un charisme fou et un sens du jeu et de la nuance sans pareil. Joachim Nimtz (le voisin) et Michaek Kinkel (le boucher) se servent quant à eux à merveille de leur physique bien typé pour camper leur personnage et nous plaire alors même qu’ils incarnent des rustres achevés. Plus généralement, ce plaisir du jeu qui se ressent dans cette troupe manifestement soudée du Berliner Ensemble est communicatif et nous fait passer très vite et agréablement le temps du spectacle. Sans eux, il n’y eut sans doute point eu de salut.

Dans cette satire politico-soviétique, qui a bien des égards nous rappelle les comédies féroces du regretté Dario Fo, Jean Bellorini en reste à la surface de la charge portée contre tous les travers de l’être humain et de la société, travers au premier rang desquels figure l’absence de considération pour son prochain. Dommage.

Le spectacle s’est joué du 12 au 16 octobre 2016 au Théâtre Gérard Philipe.

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