Les Larmes amères de Petra von Kant

© Pascal Victor / Artcom’art

La mise en scène de Thierry de Peretti ne convainc pas, mais alors pas du tout. Comment pourrait-elle y parvenir quand tout sonne faux du sol au plafond, quand tout n’est que cacophonie et approximations sur cette scène du Théâtre de l’Œuvre ?

Dès l’entrée dans la salle, le ton est donné : salon à dominante rouge, miroir au plafond, reproduction de la Dame à la licorne, cadavres de bouteilles… nous sommes dans un lupanar pas loin du cloaque. Le décor se veut ainsi clairement réaliste mais on a du mal à croire que le personnage éponyme, une styliste de renom, puisse avoir si peu de goût dans l’aménagement de son intérieur. L’intention ne serait-elle donc pas de traduire la réalité d’une décadence plutôt que la seule réalité ? N’aurions-nous pas là, peut-être, l’explication de la présence de cabinets sur scène, placés bien étrangement dans le salon, et qui donneront lieu, pour Valeria Bruni Tedeschi (Petra von Kant), à une réécriture de la prestation (dé)culottée de Julianne Moore dans Maps to the stars ? Mais tout de même, de quelle décadence s’agirait-il ?

On restera sans réponse bien claire à l’issue de la représentation car on n’ose penser qu’elle tiendrait à cette relation homosexuelle entre Karin (jouée par Zoé Schellenberg) et Petra, ni à celle, sado-masochiste, entre cette dernière et son assistante Marlene (Lolita Chammah). On n’ose pas non plus penser à la décadence qui découlerait d’une blessure d’amour passionnel ou de simples ardoises non réglées… Ce que l’on retiendra en revanche, c’est que la scénographie choisie manque terriblement de classe et de tenue. Le décalage entre le verbe haut des personnages et le vernis qu’est leur position sociale gagnait de fait à être plus et mieux marqué. De ce point de vue, la mise en scène de la pièce de Fassbinder proposée par Martin Kusej et présentée à l’Odéon en 2013 était plus réussie.

Hors de ces choix esthétiques douteux de Peretti, point de salut non plus du côté des comédiennes.

L’on ne sait ce qui tient de la mauvaise direction ou de la mauvaise distribution, difficile en effet d’arbitrer entre les deux, mais le résultat est, lui, patent et sans appel : les déplacements et discours des actrices sont très, trop imprécis ; ces dernières sont comme livrées à elles-mêmes sur scène, y compris la tête d’affiche Valeria Bruni Tedeschi, qui par son aura et surtout un jeu naturellement confus qu’elle a su ériger en témoignage authentique d’une fragilité touchante, sait malgré tout tirer un peu son épingle du jeu de tout ce marasme. La fraîcheur de Zoé Schellenberg fait parfois mouche mais la jeune actrice manque de charisme ; si Lolita Chammah est savamment drôle et décalée, elle tarde bien trop à trouver ses marques et à entrer dans son personnage. Enfin, la belle plastique et le bel accent de Kate Moran (Sidonie) ne lui servent de rien pour s’imposer sur scène face à une Valeria vampirisante. Quant aux autres, Sigrid Bouaziz et Nadine Darmon, qui jouent respectivement la fille et la mère de Petra von Kant, leur amateurisme est bien trop flagrant. On comprend dès lors l’intérêt de donner à Marisa Borini le rôle de la mère, même en alternance : elle ne joue sans doute pas mieux mais doit susciter davantage d’intérêt du fait d’un rôle qui serait a priori moins de composition.

Le spectacle a peut-être encore besoin de se roder mais l’on craint qu’il ne se bonifie guère avec le temps tant la cacophonie évoquée plus haut est ancrée dans tous les paramètres de la mise en scène. Cette cacophonie tient notamment au fait qu’à l’exception des intermèdes où l’on prend le temps de se poser, d’installer une ambiance et parfois une émotion, tout se fait à grand renfort de balbutiements, de cris et d’allers-retours du pire effet entre la scène et la salle – la configuration des lieux oblige trop souvent le spectateur à certaines contorsions pré-torticolaires et la fébrilité des comédiennes est si palpable que l’on craint à chaque montée ou descente d’escalier de les voir trébucher. Tout se fait effectivement de façon trop précipitée pour qu’on y croie une seconde, jusque dans ces étreintes et baisers fougueux et impudiques par lesquels le metteur tente en vain une approche naturaliste voire cinématographique.

Heureusement, le texte nous parvient tout de même et demeure assez audible, tout comme la musique (Tale of us, The Cure…), bien sympathique bien qu’un tantinet omniprésente, qui sert de fond sonore. Ce n’est donc pas l’horreur absolue et l’on reste sans trop de difficulté à nos places (l’étroitesse des rangs nous empêche de toute façon de quitter discrètement la salle). Sans trop de difficultés ? Pas tout à fait. Il y a quand même ce moment où la musique d’ambiance s’interrompt pour laisser place aux horribles vocalises de Lolita Chammah, vocalises accompagnées d’accords plaqués au piano qui ne sont pas moins effroyables… Que ce moment soit celui qui nous donne le plus envie de fuir pourrait cependant paraître étonnamment injuste, étant peut-être le seul passage de la pièce qui nous fasse éprouver de l’empathie pour les personnages de façon forte et juste en exprimant si « parfaitement » leur souffrance – celle de Marlène et celle de Petra que l’assistante singe non sans humour, malgré tout – et la nôtre.

Le spectacle se joue au Théâtre de l’Œuvre depuis le 12 février 2015.

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