Madama Butterfly

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Robert Wilson peine à nous bouleverser dans cette mise en scène de Madama Butterfly. Lui qui nous avait habitués à pousser l’extravagance jusqu’à la poésie s’abîme ici dans une timidité fatale voire fade. L’émotion n’est effectivement pas au rendez-vous de cette rencontre de l’Orient et de l’Occident.

Si la fixité des comédiens est propre à représenter cette croisée des mondes et cultures, évoquant d’une part le nô japonais, sa stylisation, ses masques et, d’autre part, la statuaire grecque qui grave dans le marbre les tragédies dans lesquelles l’homme ne peut se mouvoir, tout impuissant qu’il est face à son destin, elle empêche dans le même temps le spectateur de s’émouvoir et d’être transporté. La raison en est simple. Insuffisamment assumé, ce hiératisme en reste à une roideur pesante, sans délicatesse ni sublime.

Étonnant de voir une forme de nô si affadie pour une « japonaiserie » quand Robert Wilson, pour des pièces occidentales à l’instar de Lulu, a su produire une impression visuelle très forte – bien plus forte – en recourant aussi à un jeu fait d’épure et de visages blanchis à la cire. Il y a bien ce moment où le bonze apparaît et donne au spectacle, enfin, du mouvement et des accents magnifiquement eisensteiniens mais le minimalisme sonne creux et devient service minimum, jusque dans ces quelques tasses de thé et verres de whisky qu’on cherche en vain à nous faire imaginer. L’économie n’est d’ailleurs pas que dans le mouvement ou les postures des chanteurs qui se regardent peu – pudeur peut-être des personnages ou pressentiment qu’on voudrait rendre sensibles chez le spectateur de la mascarade qui se joue mais qui, surtout, laissent froid –, elle l’est manifestement dans les costumes, la lumière et le maquillage qui, sans grand raffinement, ne font pas sensation. Il y a certes une belle pertinence dans le choix de ces décors sobres et secs qui figurent les jardins japonais mais ce choix reste problématique vu du parterre à qui la scénographie ne peut se dévoiler complètement, laissant seulement soupçonner le cheminement qui conduit insensiblement  les personnages de l’extérieur à l’intérieur et inversement.

Le second acte est étrangement plus dynamique dans les poses et interactions entre les personnages alors même que ceux-ci sont moins nombreux et qu’ils ne sont plus à la fête mais à la déception et à la désillusion amère. La scène du premier acte n’était véritablement habitée que lorsqu’elle l’était au sens propre, envahie lors de la cérémonie nuptiale par les invités du mariage par exemple ou parcourue, par endroits, par les voix de certains chanteurs comme celles du consul Sharpless magistralement interprété par Gabriele Viviani et de l’entremetteur Goro joué par Nicola Pamio – celui-ci épouse d’ailleurs bien la rigidité imposée par Wilson. La scène de l’acte II libère cependant les voix qui, sous la houlette de Daniele Rustioni, le chef d’orchestre, donnent alors leur pleine mesure et se déploient sans pour autant toucher comme attendu. L’épure gagne en délicatesse dans cette dernière partie et sonne toutefois moins creux. Les lumières, plus délicates et subtiles dans leur variation, nous jettent néanmoins dans une torpeur et un alanguissement fâcheux, dont on ne sortira que bien tard mais de belle façon, à la toute fin de l’opéra : c’est un moment fugace au regard de la durée du spectacle mais ce dernier cri du ténor Piero Pretti (F. B. Pinkerton) et cette gestuelle qui n’est pas sans rappeler le plafond d’une certaine chapelle Sixtine marquent durablement l’oreille et la rétine.

Le spectacle se joue à l’Opéra Bastille du 5 septembre au 13 octobre 2015.

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