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L’Opéra de quat’sous

opera-de-quatsous© MuTphoto / B. Braun

Bob Wilson s’est emparé en 2007 du très bel Opéra de quat’sous de Bertolt Brecht. Son esthétique expressionniste avait à l’époque saisi les spectateurs. Est-ce le temps qui a fait beaucoup à l’affaire ? Sa mise en scène déçoit terriblement aujourd’hui tant elle semble au rabais convenue. Wilson ne propose rien d’assez inventif et entraînant pour cette œuvre si populaire et enjouée.

La patte « Wilson » est pourtant bien là : le passage en revue des personnages en préambule, les aspects et silhouettes clownesques de ces derniers avec des « masques » blancs et maquillages outrés, les bruitages de gadgets bien sonores (que le metteur en scène devrait sérieusement songer à abandonner…), le travail sur la lumière avec notamment ce bleu outremer, pas si éloigné du bleu Klein, qu’il affectionne et cette photographie enfin, toujours très belle. Malgré tout cela, la mise en scène nous apparaît dépouillée et terne, comme issue d’une écriture mécanique qui ne nous mène que sur des sentiers battus et rebattus et qui ne recherche pas de dramaturgie spécifique en lien étroit avec l’œuvre. Ouverture et finale de l’opéra exceptés, elle souffre par ailleurs d’un rythme de croisière plan-plan qui semble se faire sur un fleuve et trop long et trop tranquille pour que l’on s’y amuse.

Le passage en revue initial, si soigné d’habitude, se fait ici à vive allure, au point que l’on n’a pas le temps de voir des personnalités se dessiner derrière les personnages, chez les secondaires en particulier. Les scènes s’enchaînent, en revanche, avec lenteur dans une alternance métronomique entre jeu en milieu de plateau et jeu à l’avant-scène, rideau baissé, qui ajoute à la déception : des changements de décors importants sont ainsi régulièrement suggérés et le soufflé retombe invariablement au lever de rideau. La monotonie règne ainsi en maître dans la scénographie adoptée et il n’y a guère que les rubans utilisés pour matérialiser le « quartier rouge » des prostituées, qui surprennent un peu l’œil dans cette ribambelle ritournelle de néons ; l’agencement de ces rubans n’est d’ailleurs pas sans rappeler les partitions lumineuses du Crazy Horse et n’en paraît dès lors que plus judicieux.

Dans Les Nègres, pièce de Jean Genet que Wilson avait mise en scène à l’Odéon en 2014, le rythme pâtissait également de cet excès de nonchalance mais il y avait au moins des décors propres à nous rendre captive la rétine. Ici, les décors ne sont pas seulement nus mais pauvres… À l’image des personnages de Brecht ? La pertinence eût plutôt été du côté d’un lyrisme et d’une poésie qui ne soient pas bon marché, comme ceux que l’on avait pu apprécier grandement, en 2013, dans The Old Woman au Théâtre de la Ville. Il y a bien, dans la première et longue première partie, deux-trois scènes réussies – cette dispute, par exemple, entre Polly (Johanna Griebel) et Lucy (Friederike Nölting), les deux épouses de Macheath (Christopher Nell), qui n’est pas sans faire penser à celle de Charlotte et Mathurine dans le Dom Juan de Molière –, mais guère plus. La dernière partie, plus courte, mieux rythmée, bien moins uniforme, est nettement plus réussie ; elle ne permet pas, toutefois, de renverser la vapeur comme n’y sont pas parvenus non plus les comédiens pourtant talentueux du Berliner Ensemble. Ces derniers semblent de fait assez éteints en regard de ce qu’ils ont pu produire comme jeu dans Le Suicidé de Nicolaï Erdman, mis en scène par Jean Bellorini au Théâtre Gérard Philipe, ou moins récemment, en 2011, sous la houlette du même Wilson, dans Lulu au Théâtre de la Ville. On saluera tout de même les prestations énergiques de Traute Hoess (Celia) et de Christopher Nell, la sensibilité d’Angela Winkler en Jenny et l’expressivité tranquille de Jürgen Holtz (Jonathan Jrermiah Preachum) sans lesquelles l’ennui aurait été douloureusement ressenti.

On a donc bien, théâtralement, les quat’sous avec un Wilson plus qu’économe sur tout mais quid de l’opéra ? La direction musicale de Hans-Jörg Brandenburg et de Stefan Rager n’enchante que peu malheureusement. L’orchestre joue effectivement de façon artificiellement appuyée et grinçante pour rendre cet aspect populaire de la musique de Kurt Weill et oublie dommageablement la chaleur et la rondeur du jazz ou de la musique de cabaret qui ont inspiré le compositeur. Les comédiens du Berliner Theater chantent en outre dans cette même logique, ce qui achève d’appesantir l’air et les paroles des chansons au lieu de nous mettre en apesanteur à la manière d’une Mistinguett, Fréhel ou Piaf qui savaient nous transporter grâce à leur gouaille aussi mélodique qu’authentique. Même si Christopher Nell sort quelque peu du rang avec un joli grain de voix, on apprécie finalement davantage les chansons qui versent dans le bel canto avec les voix de Johanna Griebel et de Friederike Nölting qui se font cristallines que les chansons dites de rue alors que l’on aurait aimé être entraîné dans quelque chose de moins académique, de moins léché mais de plus beau et palpitant aussi…

En dépit, revenons-y, de l’impression visuelle qui reste forte, la magie de Bob Wilson n’opère plus dans cet Opéra de quat’sous. On en attendait peut être trop… Sans réelle proposition ni inspiration, le metteur en scène réussit seulement à rendre hommage au titre de l’opéra qui n’aura peut-être jamais si bien porté son nom.

DIE DREIGROSCHENOPER

© L. Leslie-Spinks
Le spectacle se joue du 25 au 31 octobre 2016 au Théâtre des Champs-Élysées et en partenariat avec le Théâtre de la Ville.