En attendant Godot – La Nuit surprise par le Jour

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© Mathilde Delahaye

Le Godot que met en scène le collectif « La Nuit surprise par le Jour » est pour le moins aride mais n’en est pas moins très intéressant et pertinent, faisant bien entendre la petite musique de Beckett et toute l’absurdité du monde.

Route à la campagne, avec arbre.
Soir
Estragon, assis sur une pierre, essaie d’enlever sa chaussure.

L’aridité est déjà dans l’œuvre de Beckett mais la mise en scène de « La Nuit surprise par le Jour » va plus loin dans la sobriété des décors qui sont ici créés ex nihilo. Les spectateurs entrent ainsi dans une salle où la scène – déjà particulière parce que sans les sièges qui lui font face, elle serait plus simplement appelée « sol » – est complètement nue. Ce n’est que peu avant le début du spectacle que sera placé le fameux arbre arbrisseau et ce n’est qu’une fois entré sur scène qu’Estragon trouvera, au hasard de ses recherches, la « pierre » sur laquelle il devra s’asseoir, à savoir un ampli ici.

Le collectif refuse très manifestement la poésie du parti pris des choses qui peut d’emblée émaner, dans les mises en scène plus convenues, des décors. L’esthétique choisie est de toute évidence celle de l’absence d’esthétisation ; on prend les choses et les êtres tels qu’ils sont : pas de costumes, pas de maquillage, pas d’accessoires particuliers. Dans quel but ? Abolir la fiction et faire d’elle une réalité sans doute, en rendant l’absurde vraisemblable et commun. Les personnages sont ainsi habillés de façon très ordinaire, au point que seul le chapeau melon qu’ils portent sur la tête (où sinon ?…) les démarque d’un spectateur lambda. La confusion possible entre acteurs et spectateurs est d’ailleurs actée par le fait que les comédiens, à deux exceptions près, occupent des sièges dans le public. La lumière elle-même favorise cette proximité, sinon promiscuité, entre personnages et spectateurs, étant la même pour tous. Éteinte pour signifier la tombée de la nuit, elle plongera également toute la salle dans une même obscurité. Les comédiens vont donc évoluer sous les yeux des spectateurs et les spectateurs être bien vus des comédiens, comme s’il n’y avait pas ce fameux quatrième mur entre eux. Ceux qui sont sur scène, c’est bien nous, semble-t-on nous dire, et tout le monde éprouve ce qu’est l’attente de Godot.

La mise en scène étant aussi minimaliste que sans artifice, la poésie et la force du texte de Beckett reposent essentiellement, en somme, sur le jeu des comédiens. Ceux-ci, heureusement, sont excellents. Yann-Joël Collin incarne un Vladimir débonnaire à souhait et Cyril Bothorel un Estragon touchant et drôle dans ses amnésies lucides et placides. L’autre couple central que forment Pozzo et Lucky est aussi superbe. Christian Esnay, avec beaucoup de naturel, campe un fier, narcissique et égocentré Pozzo et Pascal Collin, un Lucky perdu et pathétique, qui va se lancer dans un soliloque aussi énergique et plein d’allant qu’il semblait naguère apathique et sans vie. On apprécie enfin la fraîcheur toute juvénile d’Élie Collin, dans le rôle du garçon. Les paroles prononcées, le rythme imprimé, le silence, les regards et la gestuelle, tout fait sens chez eux. Le travail sur le phrasé est tout à fait remarquable chez ces acteurs qui parviennent à dire aussi bien la personnalité de chacun des personnages que leur complicité, le cas échéant. Celle de Didi et Gogo est comme démontrée par le seul jeu de ping-pong verbal auquel ils s’adonnent souvent, semblant poursuivre ou finir la phrase de l’autre. On croit entendre alors une petite ballade qui se matérialise le plus souvent par une promenade conjointe des deux compères tandis que leurs mots se font écho. Malgré leurs querelles, ils sont sur la même longueur d’onde par la force des choses, leur vie oisive se répétant à l’infini. C’est sans doute pour cela que le texte, tel une musique entêtante, nous restera bien en tête à la sortie du spectacle.

Estragon. – Allons-nous-en.
Vladimir. – On ne peut pas.
Estragon. – Pourquoi ?
Vladimir. – On attend Godot.
Estragon. – C’est vrai (un temps).

« La Nuit surprise par le Jour » présente ainsi une lecture aussi radicale qu’originale d’En attendant Godot mais une lecture dont la sécheresse perdure et continue de nous déstabiliser et de nous hanter bien après le spectacle. On ne peut lui dénier son audace ni sa vérité, surtout quand on la met en regard avec d’autres propositions qui axent tout sur l’accessoire et le comique et en oublient un peu l’essentiel (cf. la mise en scène de Jean-Pierre Vincent jouée actuellement aux Bouffes du Nord) ; on regrette toutefois cette amertume qu’elle nous laisse de nous avoir enfermés, d’une certaine manière, dans notre quotidien quand elle aurait tout aussi bien pu nous faire voyager… et l’on repense, avec quelque nostalgie, au Godot africanisé de Jean Lambert-wild, Lorenzo Malaguerra et Marcel Bozonnet.

Le spectacle se joue au Théâtre de la Cité internationale du 7 au 22 décembre 2015.

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