Finir en beauté

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© Fonds de dotation Porosus / Anthony Anciaux

Bon mon coco, écoute bien là, parce que tu commences sérieusement à nous étouffer tous là avec ta mère. Faut que tu comprennes que ni ta mère, ni aucune autre mère n’est le centre du monde. Faut arrêter avec cette vaste fumisterie, ce complot de l’association des mères juives, arabes ou mères tout court dont le seul but est cultiver une dépendance ad vitam aeternam de leurs progénitures, de s’astreindre quotidiennement à les étouffer avec application et méthode, à les rendre inadaptées en dehors de leur seule et unique présence. Même Dieu ; même Dieu n’a pas eu un ego aussi surdimensionné et hypertrophié que la première mère venue, même tous les dieux réunis – bordel ! – font preuve d’un peu plus d’humilité à l’égard de « leur création »

Finir en beauté

Ce « M. » qui, dans un mail tonitruant dont l’objet est « Faire quelque chose », secoue Mohamed El Khatib, a raison : la mère, c’est ce que l’on veut bien qu’elle soit. Or l’auteur de Finir en beauté ne semble pas encore prêt à la partager avec des spectateurs lambda ; cela est, sans doute, tout à son honneur mais nous laisse frustrés de cette émotion, de cette poésie et de cette beauté, surtout, promises dans le titre de cette « pièce en un acte de décès ». Face à la diffusion d’archives authentiques, tout à fait personnelles et intimes, on se croit, un temps, voyeur mais que voit-on finalement ?

Les enregistrements audio d’une mère sur son lit d’hôpital, une photographie d’elle sur son lit de mort, la musique écoutée lors de son enterrement… Mis devant ces instants funèbres, captés et livrés par Mohamed El Khatib, comme devant le fait accompli, on craint d’être entré dans l’obscène d’une réalité crue quand on venait, naïvement, voir une scène théâtrale mais non, c’est loin d’être le cas. Bien au contraire, Mohamed El Khatib, dans son approche clinique de médecin légiste, travaille durement la matière réelle pour ne pas se raconter lui, ni la raconter elle… Sa voix enregistrée, ce n’est pas elle ; son image mortuaire, ce n’est pas elle ; son acte de décès, ce n’est pas elle non plus. De fait, ce témoignage aux allures de reconstitution scientifique ne parvient pas à ressusciter cette mère dont il nous parle et que l’on aurait aimé connaître, vraiment, et notre empathie naît davantage d’un processus de transfert, de transposition, de projection voire d’imagination pour ceux qui n’ont pas vécu cette perte que des documents et du récit qui sont produits sur scène.

D’une certaine manière, Mohamed El Khatib nous fait habiter un deuil qui n’est pas le sien mais le nôtre, réel ou potentiel. Les pièces portées à notre connaissance pour dire une existence, une douleur, une fin ne nous convainquent effectivement pas, pas plus que la convocation de l’anecdote et de l’humour, trop légers eux-mêmes pour rendre à la fois légère et grave, dans le lâcher prise qu’ils manifesteraient, la vérité nue et dure qu’est le décès d’une mère – les anecdotes comme celle de ces bols, ces fameux bols qui, longtemps introuvables, font s’effondrer la famille en deuil, n’y prennent pas assez de place, ne s’y déploient pas suffisamment ; l’humour, aigre-doux, est quant à lui à l’état d’allusions, des allusions trop rapides pour à la fois toucher et faire réfléchir durablement. Le poème manque, le lyrisme manque, les sentiments manquent dans cette fiction documentaire qui est plus documentaire que fiction parce que Mohamed El Khatib a fait le choix de l’inventaire et de l’épure (pour ne pas donner libre cours à ses propres émotions ?) et faisant cela, il se mure et nous mure dans une solitude quand le théâtre devrait plus que jamais ici être le lieu d’une communion. Il n’est qu’à voir comment Mohamed El Khatib mène sans flancher ce « récit » d’une mort annoncée ; il est manifestement très bon comédien car sa pudeur, bien visible, ne saurait suffire à avoir tant d’empire sur lui-même : ces résurgences du passé ne rendent pas à la vie mais font nécessairement revivre en lui ce qu’il nous tait ou ce qu’il ne nous dit qu’en passant, de façon trop rapide et superficielle.

Mohamed El Khatib rêvait d’une fin en beauté pour sa mère, ce qui ne fut pas le cas selon lui, et l’on s’étonne qu’il ne la lui réserve pas ici, sur cette scène de tous les possibles, et qu’il préfère s’en tenir à un exposé des faits relativement terne et sans relief qui ne met pas assez en lumière ce qui subsiste de sa mère dans les cœurs de ceux qui l’ont connue et ce qu’elle a été. On aurait aimé que la fiction, seule capable par son langage imagé, de dire l’indicible ne le dise pas ici en creux. L’écriture blanche, comme celle d’Annie Ernaux, peut dire bien plus profondément les affects que le romancé d’une écriture folle à la Guillaume Gallienne (cf. Les Garçons et Guillaume, à table !), certes, mais elle produit peu d’effets ici. Si l’on perçoit, derrière ces non-dits et cette retenue de Mohamed El Khatib, sa douleur, son deuil infini et sa tendresse tout aussi infinie pour sa mère, on ne les perçoit effectivement qu’en négatif – au sens photographique mais pas que…

Pièce jouée du 8 au 26 novembre 2016 au Monfort. Pour les dates de la tournée, c’est ici.

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