Retour à Berratham

Retouraberratham_Jean-Claude-Carbonne2© Jean-Claude Carbonne

Angelin Preljocaj a su nous préserver de certaines lourdeurs et facilités de la pièce de Laurent Mauvignier sans réussir cependant à toutes les éviter. Retour à Berratham est en effet un texte relativement complaisant dans l’exposition qu’il fait des violences liées – ou non d’ailleurs – à la guerre ; il est ainsi bien dommage que le chorégraphe n’ait pas su, voulu ou pu s’émanciper du théâtre pour se tourner résolument vers la seule danse.

Preljocaj ne parvient à nous toucher effectivement que lorsque la danse fait écart avec le texte, non pas tant sur le fond que sur la forme. La violence est toujours là mais exprimée avec la grâce qui manque parfois à la pièce de Mauvignier ; de beaux moments sont ainsi ménagés comme lors de la cérémonie du mariage ou le retour au domicile familial du protagoniste. La cérémonie est en effet d’une belle intensité par le jeu surprenant des costumes qui déshabillent et habillent la mariée et ses convives, par la mise à nu proposée, pleine de pudeur et à rebours du texte, et par la mise en retrait de ce dernier via un savant jeu de coupes et de positionnement des comédiens. Le retour à l’appartement familial du protagoniste marque aussi par le contraste très fort entre l’entrain et la rondeur d’un cha-cha-cha à trois démultiplié et l’horreur des hypocrisies sous-jacentes.

De façon plus générale, l’utilisation des éléments de décor que sont les grilles pour signifier les violences conjugales, la fermeture, la bestialité des comportements humains est également  ingénieuse et très réussie esthétiquement. Les morts et assassinats qui scandent le texte se font ici avec une délicatesse qui souligne bien plus la férocité des rapports entre les êtres humains que les images et mots crus employés par Mauvignier ou le suspense que ce dernier déploie de façon morbide et glauque dans sa pièce. Mais ces effets de décalage ou ces trouvailles scénographiques ne sont pas assez nombreux et la danse souffre d’être théâtre quand elle pourrait se suffire à elle-même pour exprimer, dire le texte et bien plus.

Le théâtre est en effet souvent de trop dans ce spectacle ; c’est au point que la danse fait parfois figuration quand elle ne semble qu’illustrer une parole passablement envahissante, surtout lorsqu’elle s’accompagne d’une bande son elle-même trop illustrative et pesante. Les comédiens chargés de dire le texte ôtent malheureusement beaucoup de la poésie que les accents lagarciens de Mauvignier ont su faire naître, par endroits, dans le drame et qui se devait, de toute façon, d’être plus prégnante dans le spectacle de Preljocaj. Les comédiens, qui ne sont pas de simples voix off mais évoluent sur scène, parasitent quelque peu le spectacle, surtout à son début, par leur corps statique et leur voix monotone et sans grande expressivité. Les espaces sonore et scénique sont ainsi comme pris d’assaut par un théâtre très vite et souvent jugé inopportun. Que regarder en effet face à l’immensité de la scène ? Sur quoi se focaliser ? D’emblée perdu, le spectateur, et particulièrement celui des premiers rangs, est « invité » à faire un choix entre danse et théâtre, un choix pas si difficile et impossible en raison de la pauvreté du jeu des comédiens mais qu’il n’aurait pas eu à faire devant un spectacle total bien pensé.

Angelin Preljocaj voulait faire « danser les mots » avec Retour à Berratham mais nous conforte plutôt dans l’idée que la danse, pour ce faire, se serait bien passée d’eux.

Le spectacle se joue au Théâtre national de Chaillot du 29 septembre au 23 octobre 2015. Pour les dates de la tournée, c’est ici.

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