Nos serments

© Élisabeth Carecchio

Dans Nos serments, on éprouve le temps de façon forte et profonde ; on le voit passer, vraiment, mais sans ennui – ou presque –. Sur scène, effectivement, on prend son temps, on tue le temps, on laisse le temps aux personnages de s’installer – ils le sont d’ailleurs bien avant nous, comme cela se fait de plus en plus souvent au théâtre, mais là, cela fait très vite sens –. Les personnages, pris de surcroît dans des situations sentimentales et des schémas de pensée connus, semblent dès lors bien vrais : ils vivent, simplement, et ne sont pas artificiellement entraînés dans le tourbillon d’une vie trépidante et pleine d’actions qui serait propre à nous divertir.

Par cette exploration temporelle, la metteure en scène Julie Duclos nous propose une expérience sensorielle assez déstabilisante. Plus que le sujet de la pièce (la complexité des relations amoureuses, celle de la projection de soi dans le regard de l’autre et du sien propre et, plus largement, celle des relations humaines), sujet abordé avec beaucoup d’intelligence et d’humour, c’est en effet cette façon de rendre sensible le temps qui passe et de l’exploiter pour nous connecter aux personnages qui étonne et saisit. Les décors, avec la reproduction réaliste d’un studio et de ses pièces attenantes d’une part, et le confinement du Petit Théâtre de la Colline d’autre part, achèvent de nous conforter dans cette impression de plongée presque documentaire dans l’intimité de personnes plus que de personnages.

Dans le même temps, on n’est pas seulement au théâtre ici mais au cinéma avec de beaux films, à l’esthétique aussi réaliste que soignée, qui prennent régulièrement le relais de la scène et favorisent les ellipses, avec une voix off et des projecteurs qui exhibent l’artificialité de cette authenticité apparente sans pour autant en briser l’illusion. Ces procédés nous font d’ailleurs souvent penser au Jules et Jim de Truffaut avec lequel la pièce nourrit d’importants liens de parenté dans la manière de traiter les personnages – la caméra et la voix off les suivent de près et les mettent parfois à nu mais ils restent insaisissables et mystérieux – et le temps qu’on ne presse jamais, qui ne souffre aucun emballement, qu’on laisse comme en suspens.

On regrettera tout de même la part trop belle donnée à ce cinéma qui fait parfois perdre de vue le spectacle vivant que doit être le théâtre, un cinéma à qui l’on donne en outre le dernier mot, ce qui peut laisser perplexe. Comme dans les fameuses salles obscures au moment du générique final, à la fin de la pièce, nous sommes ainsi plongés dans le noir tout en écoutant une des chansons faisant partie de la bande originale du film spectacle – une bande-son remarquable d’ailleurs, tout au long de la pièce. Ce final n’empêche cependant pas de penser que la seconde et dernière partie est si réussie qu’elle aurait pu à elle seule, avec quelques aménagements – et encore –, être le spectacle tout entier.

On regrettera aussi les quelques fausses notes dues au jeu des actrices principalement : Maëlia Gentil surjoue un peu trop même si l’on comprend bien que son personnage (Mathilde) est lui-même caricatural, et le visage involontairement (?) rieur d’Alix Riemer (Esther) peine un temps certain à la rendre crédible en amante fragile, frustrée et perdue. Les hommes sont en revanche irréprochables, que ce soit David Houri qui incarne avec beaucoup de finesse la goujaterie – ou la libre pensée, question de point de vue – de François, le personnage principal, ou Yohan Lopez qui campe, dans une superbe nonchalance de dandy, Gilles, un personnage secondaire mais de tout premier plan tant ses répliques sont à la fois justes et savoureuses, pleine d’une lucidité cynique et finalement humaine. Les scènes où Yohan Lopez est présent sont sans doute les plus réussies – y compris quand il n’est pas physiquement sur le plateau. Lui à l’écran et Alix Riemer sur scène, c’est l’un des plus beaux moments de la pièce et celui qui manifeste le mieux ce qui fait la force de la mise en scène de Julie Duclos : la mise en lumière et en poésie d’un passage du temps tout aussi âpre qu’exaltant avec lequel les êtres humains doivent composer.

Le spectacle se joue au Théâtre national de la Colline du 15 janvier au 14 février 2015.

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