Trois soeurs

© Roxane Kasperski

Christian Benedetti donne des Trois sœurs une version sobre et efficace que l’on suit sans déplaisir mais sans grand enthousiasme non plus…

Le débit très rapide des comédiens, on le sait, est une des « marques de fabrique » du metteur en scène. Il peut dans un premier temps perturber, voire rebuter, mais il s’avère très intéressant à plusieurs titres.

Tout d’abord, il rend bien l’exaltation et le lyrisme des personnages de Tchekhov, ce qui est sans doute encore plus vrai dans cette pièce où la parole est principalement portée par des femmes pleines d’allant pour commencer, après le décès de leur père, une nouvelle vie, y compris quand tous les espoirs sont déçus. Olia, Macha et Irina sont trois sœurs qui ne déposent effectivement jamais les armes et expriment une vitalité hors-norme. Les autres pièces de Tchekhov, et particulièrement celles qui mettent au premier plan des hommes comme certains titres l’indiquent – Oncle Vania, Platonov, Ivanov –, sont davantage dépressives et sombres et rendent, a priori, moins pertinente une parole rapide et vive.

Ce débit implique aussi une attention toute particulière du spectateur. Frustré d’avoir perdu une parole précieuse ou craignant que quelque chose lui échappe, il s’impose naturellement d’être à l’écoute et, faisant l’effort de tendre l’oreille, devient proprement actif dans la réception du spectacle. Non seulement la parole est ainsi presque paradoxalement mieux entendue mais les silences voulus par le dramaturge (les fameuses « pauses » inscrites dans le texte théâtral) sont d’autant plus frappants et porteurs de sens. Ces silences constituent dans ce flot verbal, des aires de repos où l’on peut reprendre haleine, réaliser le chemin parcouru et saisir ce qui n’avait pas eu le temps d’être saisi. Ils correspondent toujours à une respiration profonde, forte, salutaire, même quand ils traduisent un malaise.

Ce débit implique enfin une dynamique propre à rendre sensible l’univers fantasque de Tchekhov et dans un temps court, en outre, plutôt que dans une version courte du texte original que les metteurs en scène ont tendance à préférer pour ne pas imposer trois heures et plus de spectacle en proposant la version in extenso. La parole n’est ainsi pas diluée dans le temps et l’intensité du propos n’est pas altérée. Celle-ci l’est d’autant moins ici qu’elle n’est pas parasitée par une scénographie foisonnante. Cette dernière est au contraire épurée et sans doute gagnait-elle même à l’être davantage encore pour éviter ce qui est le seul vrai ratage de cette mise en scène : les changements de décor à vue assez pénibles parce que complètement coupés du mouvement de la pièce.

En théorie, donc, ce choix d’une parole rapide apparaît bien pertinent ; dans la pratique, celle-ci n’est cependant pas toujours portée et assumée de façon égale et naturelle par les comédiens, certains ne jouant pas trop le jeu de cette diction, d’autres le jouant bien trop ou bien mal, mettant affreusement au jour les efforts d’articulation qu’elle induit, on pense ici Christophe Carotenuto (le baron et lieutenant Nikolaï Lvovitch von Touzenbach).

Au-delà de cette performance articulatoire, l’inégalité demeure. S’il est indéniable que les comédiens jouent tous très bien, deux acteurs, en particulier, sortent du lot : Marie-Sophie Ferdane et  Christian Benedetti. La première est une Macha grandiose, impertinente à souhait sans être pour autant dans la caricature comme peut l’être, d’une certaine manière, Elsa Granat qui incarne Natacha ; le second  joue le lieutenant-colonel Verchinine avec beaucoup de justesse et d’humanité. Les autres comédiens, s’ils tirent un peu aussi leur épingle du jeu à l’instar de Nina Renaux (Irina) et de Philippe Crubézy (Kouliguine, le mari de Macha), sont nettement un ton en-dessous et relativement insipides en comparaison. On est tout de même touché par la démarche dandinante-traînante de Jenny Bellay qui joue la nourrice, c’est d’ailleurs sans doute la seule à donner à cette mise en scène un peu trop froide pour être bien transcendante, un peu de la chaleur et de l’âme russes qui manquent ici malgré la présence du fameux samovar !

Le spectacle se joue au Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet du 29 janvier au 14 février 2015.

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